« Nos parlementaires effectuent un vrai travail de vigilance et de contre-propositions, mais nous n’avons pas toujours eu les relais nécessaires. Seulement, c’est aussi de notre faute. C’était à nous, en tant qu’opposition, de porter suffisamment haut notre voix, et j’ai bien dit “notre”. Car je commence à en avoir plus qu’assez que tous les matins, un socialiste me dise dans le poste « moi je serai là le moment venu » ».
Et de poursuivre plus loin :
«[…] le Parti socialiste, notamment, va devoir se bouger un peu plus le derrière pour se faire entendre autrement. Frontalement. Basiquement. Bourrins, en somme. Maintenant l’angélisme de l’opposition constructive et candide dans une France sarkozyste, ça va bien cinq minutes. Il faut dénoncer. Invectiver. Rentrer dans le lard. Remuer les consciences.»
C’est vrai que la politique n’est pas simplement une affaire de raison et d’intellect. Elle fait aussi appel au sentiment, à l’émotion, au physique, à nos cinq sens. Comme Pisano l’a suggéré, la politique est plus qu’on ne le croit une question d’oreille.
On se doit de rappeler à cet égard les efforts que les citoyens ont fait pour inciter les tenants de l’ordre établi, quel qu’il soit, à bien tendre leurs oreilles. Les grandes chansons politiques nous le rappellent à leur manière.
Voici un petit florilège évidemment non exhaustif.
La Marseillaise («Entendez-vous dans nos campagnes mugir ces féroces soldats ?»).
Ma Blonde, allons au-devant de la vie («Ma blonde, entends-tu dans la ville siffler les fabriques et les trains ?»)
Le chant de la libération («Ami, entends-tu le vol noir du corbeau sur la plaine ?»).
Les Nouveaux Partisans (« Écoutez-les nos voix qui montent des usines, nos voix de prolétaires qui disent y en a marre »).
On pourrait dire malicieusement que la France a donc connu des périodes où les citoyens étaient désireux qu’on les écoute, des moments durant lesquels ils prenaient soin d’avertir les gouvernants qu’ils devaient faire attention sous peine de provoquer des situations insurrectionnelles, voire révolutionnaires.
Le peuple chantait : « Toi le Pouvoir, écoute-moi ! ». Et le Pouvoir, ainsi interpellé, était au moins obligé de l’écouter à défaut d’entendre, car même pour faire la sourde oreille, il faut au minimum le son de la voix de celui qui formule une demande ou une revendication.
Or, l’époque présente – pour autant que l’on puisse avoir le recul nécessaire pour la juger – semble avoir renversé ce vieux code politique. Le Peuple, entité aux contours flous, paraît s’être emmuré dans le silence et, par une curieuse évolution des choses, c’est le Pouvoir qui est aujourd’hui désireux de l’interpeller sur le bien fondé des choix politiques. Les récents spots gouvernementaux participent d’ailleurs de ce renversement de perspective : « Peuple, écoute, on sait que tu es impatient, ça tombe bien, nous aussi ». Au fond, ces messages publicitaires, maladroits parce que profondément cyniques, trahissent l’inquiétude des pouvoirs publics à l’égard des gouvernés dont la majorité se tait. Les gouvernants communiquent et n’obtiennent en guise de réponse que leur propre écho.
Mais il faut être juste. Il n’y a pas que la majorité sarkoziste confrontée à cette situation. L’opposition se veut aussi à l’écoute des Français. Combien de fois a-t-on entendu sur tous les tons dans les meetings, sur les plateaux de télévision, lors de réunions diverses, que les socialistes devaient être davantage à l’écoute des Français ? La démocratie participative, défendue et pratiquée par Ségolène Royal, a également largement contribué à populariser l’idée selon laquelle l’homme politique devait être à l’écoute du citoyen. Et que dit d’ailleurs l’UMP pour critiquer le PS ? Elle l’accuse d’être «inaudible» !
Dans ces conditions, même si on comprend et partage les aspirations de notre camarade Maxime Pisano, on est en revanche plus réservé sur les solutions qu’ils préconisent (dénoncer, invectiver, rentrer dans le lard), car le PS a des idées et les personnes pour les porter à haute voix ne manquent pas (même s’il y a toujours des périodes de démobilisation militante). Cependant, que peuvent être la force de ces idées et l’enthousiasme de ceux qui les promeuvent, si les Français sont absents et indisponibles pour y prêter l’oreille ? Et comment mesurer l’impact de ce que nous pouvons leur dire et leur proposer si nos mots sont étouffés par leur silence ?
Faisons donc ce que nous devons, advienne que pourra.