Lou Garance travaille dans le secondaire. Mais un autre professeur, exerçant dans le premier degré, pourrait tout autant faire un tableau aussi sombre.L’emploi du terme hussard renvoie loin dans le passé. Il avait été inventé par Charles Péguy pour désigner les instituteurs sous la Troisième République, pour signifier la difficulté de leur mission. On les qualifiait alors de hussards noirs. Et ce n’est pas un hasard si l’auteure déplace l’adjectif.Le propos de ce livre n’est pas très nouveau mais il a plusieurs intérêts. D’abord (hélas) de confirmer que réforme après réforme (comme s’il était inéluctable de pouvoir bien faire tout de suite ?) rien ne va mieux, et il est bon d’alerter régulièrement l’opinion là-dessus, même si je doute d’un effet aussi explosif que le bilan publié récemment sur les Ehpads. Ensuite parce que Lou Garance restitue parfaitement les dialogues. Que ce soit les petites phrases des élèves, à commencer par l’inévitable, Madame c’est pas juste (p. 47), la novlangue des formateurs, leurs dadas, comme la préconisation du ludique, qui souligne le désormais renversement de paradigme (le prof doit user de stratégie pour intéresser un public qui vient contraint et forcé à ses cours alors qu’il y a cinquante ans l’enseignant avait le beau rôle) et enfin les pensées intérieures qui la traversent.On est immergés, et pourtant il y a une juste distance autorisant l’analyse. C’est du beau travail ! Nous sommes parfois en Absurdie, pas toujours heureusement. Il m’a semblé que l’analyse était d’une grande honnêteté, car l’auteure ne fait pas l’impasse sur ses faiblesses et ne se présente pas en sauveur. Elle est trop lucide pour succomber à ce complexe. On sent néanmoins une vraie envie de faire progresser les élèves. Mais on mesure aussi toutes les incohérences du système. Maintenir la continuité pédagogique, en cette année scolaire particulière avec l’arrivée du covid, équivaut souvent à naviguer en pleine tempête ! A commencer par l’évaluation, et la délicate question de la notation (p. 40) qui doit être « bonne » (p. 30). Je me souviens avoir enseigné une année en SEGPA. Certains de mes élèves rendaient copie blanche, sans même y écrire leur nom correctement orthographié (oui, c’est possible) et qui riaient ouvertement en lisant un 5/20 sur leur copie. Il était interdit d’attribuer moins.Elle n’évite pas la sempiternelle querelle philosophique à propos de l’importance de l’écrit sur l’oral ou le contraire (p. 86) puisque l’un ne va pas sans l’autre. Toujours est-il qu’elle a raison de souligner combien faire parler trente élèves de manière égalitaire sur un créneau d’une heure est une gageure. Même en maternelle, où l’on reste toute la journée avec les mêmes enfants le temps de parole individuel possible est fort réduit, une fois décompté les moments de brouhaha, de récréation, de déplacement, de sieste, de passage aux toilettes … C’est effarant.Il y a malgré tout dans ce livre un humour puissant, sans lequel il ne serait que révolte et colère. Il y aurait d’ailleurs de quoi. Elle a encore raison quand (p. 89) elle souligne avec sagesse que si beaucoup d’enseignants espèrent avoir le charisme de Robin Williams dans Le cercle des poètes disparus, mais omettent un peu vite la fin du film.Il faut lire ces Chroniques avant de conclure si enseigner est toujours le plus beau métier du monde, comme on l’a tant laissé croire. Il offre des réflexions très précises sur la formation, voire précieuses pour qui voudrait s’y lancer, avant que la crise de la vocation n’ait décimé les rangs, on ne se demande pas pourquoi.Née en Alsace en 1990, Lou Garance a fait des études de littérature jusqu’au doctorat. Elle a soutenu une thèse sur le discours totalitaire dans les romans dystopiques. Cela lui a permis de publier quelques articles sur la littérature et le cinéma, mais, comme il faut bien manger, elle a passé le concours de l’enseignement. Quand elle n’enseigne pas, elle passe son temps dans les salles obscures ou dans les forêts vosgiennes.Chroniques noires d’un hussard de la république par Lou Garance, aux Editions F Deville, en librairie depuis le 10 février 2022
Lou Garance travaille dans le secondaire. Mais un autre professeur, exerçant dans le premier degré, pourrait tout autant faire un tableau aussi sombre.L’emploi du terme hussard renvoie loin dans le passé. Il avait été inventé par Charles Péguy pour désigner les instituteurs sous la Troisième République, pour signifier la difficulté de leur mission. On les qualifiait alors de hussards noirs. Et ce n’est pas un hasard si l’auteure déplace l’adjectif.Le propos de ce livre n’est pas très nouveau mais il a plusieurs intérêts. D’abord (hélas) de confirmer que réforme après réforme (comme s’il était inéluctable de pouvoir bien faire tout de suite ?) rien ne va mieux, et il est bon d’alerter régulièrement l’opinion là-dessus, même si je doute d’un effet aussi explosif que le bilan publié récemment sur les Ehpads. Ensuite parce que Lou Garance restitue parfaitement les dialogues. Que ce soit les petites phrases des élèves, à commencer par l’inévitable, Madame c’est pas juste (p. 47), la novlangue des formateurs, leurs dadas, comme la préconisation du ludique, qui souligne le désormais renversement de paradigme (le prof doit user de stratégie pour intéresser un public qui vient contraint et forcé à ses cours alors qu’il y a cinquante ans l’enseignant avait le beau rôle) et enfin les pensées intérieures qui la traversent.On est immergés, et pourtant il y a une juste distance autorisant l’analyse. C’est du beau travail ! Nous sommes parfois en Absurdie, pas toujours heureusement. Il m’a semblé que l’analyse était d’une grande honnêteté, car l’auteure ne fait pas l’impasse sur ses faiblesses et ne se présente pas en sauveur. Elle est trop lucide pour succomber à ce complexe. On sent néanmoins une vraie envie de faire progresser les élèves. Mais on mesure aussi toutes les incohérences du système. Maintenir la continuité pédagogique, en cette année scolaire particulière avec l’arrivée du covid, équivaut souvent à naviguer en pleine tempête ! A commencer par l’évaluation, et la délicate question de la notation (p. 40) qui doit être « bonne » (p. 30). Je me souviens avoir enseigné une année en SEGPA. Certains de mes élèves rendaient copie blanche, sans même y écrire leur nom correctement orthographié (oui, c’est possible) et qui riaient ouvertement en lisant un 5/20 sur leur copie. Il était interdit d’attribuer moins.Elle n’évite pas la sempiternelle querelle philosophique à propos de l’importance de l’écrit sur l’oral ou le contraire (p. 86) puisque l’un ne va pas sans l’autre. Toujours est-il qu’elle a raison de souligner combien faire parler trente élèves de manière égalitaire sur un créneau d’une heure est une gageure. Même en maternelle, où l’on reste toute la journée avec les mêmes enfants le temps de parole individuel possible est fort réduit, une fois décompté les moments de brouhaha, de récréation, de déplacement, de sieste, de passage aux toilettes … C’est effarant.Il y a malgré tout dans ce livre un humour puissant, sans lequel il ne serait que révolte et colère. Il y aurait d’ailleurs de quoi. Elle a encore raison quand (p. 89) elle souligne avec sagesse que si beaucoup d’enseignants espèrent avoir le charisme de Robin Williams dans Le cercle des poètes disparus, mais omettent un peu vite la fin du film.Il faut lire ces Chroniques avant de conclure si enseigner est toujours le plus beau métier du monde, comme on l’a tant laissé croire. Il offre des réflexions très précises sur la formation, voire précieuses pour qui voudrait s’y lancer, avant que la crise de la vocation n’ait décimé les rangs, on ne se demande pas pourquoi.Née en Alsace en 1990, Lou Garance a fait des études de littérature jusqu’au doctorat. Elle a soutenu une thèse sur le discours totalitaire dans les romans dystopiques. Cela lui a permis de publier quelques articles sur la littérature et le cinéma, mais, comme il faut bien manger, elle a passé le concours de l’enseignement. Quand elle n’enseigne pas, elle passe son temps dans les salles obscures ou dans les forêts vosgiennes.Chroniques noires d’un hussard de la république par Lou Garance, aux Editions F Deville, en librairie depuis le 10 février 2022