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(Note de lecture) James Sacré, Figures de solitudes, par Régis Lefort

Par Florence Trocmé


SacréEn contrepoint des extraits choisis pour l'anthologie permanente de ce jour, cette note de lecture de Régis Lefort sur le livre de James Sacré, Figures de solitudes


Dans ce nouveau recueil, on voyage dans les Pouilles et ailleurs en Italie, en Andalousie, aux États-Unis ou dans des moments marocains comme on retourne en Vendée et qu’on entre dans une intériorité. « Écrire est un voyage où les mots se traversent comme un paysage ». James Sacré poursuit son chemin de vie en poème, tout en disant son incertitude à la composition : « Peut-être que je déparle / Dans mon désir d’être tout en n’étant pas / Avec ces figures du monde et sans savoir / Si elles restent muettes, ou si j’entends des voix ! » Selon lui, à la fin, « les mots sont peut-être moins l’or du temps que poussières de solitudes traversées ».
Certes, un poème « se mange avec du souvenir et de l’attente ». Mais il ne peut se saisir que de solitudes, ces moments où le poète est à la fois désemparé devant l’arrachement du réel et mu par le désir de retrouver ce qui échappe et se teinte pourtant de présence souveraine dans le paysage mental. Ces solitudes s’installent quand il y a « de la désespérance qui grandit et la proximité de la mort, un paysage qu’on ne voit plus, les mots qui abandonnent ».
Si le poème est « un lieu de solitude », il est peut-être aussi « un lien de solitudes » où le poète retrouve « l’accidentel lecteur ». Poète et lecteur se retrouvent dans la grammaire du poème – « Poème buisson de grammaire où pourrait / Sourire de l’églantine » – et y partagent une émotion : « L’émotion de l’œil et de la main, c’est comme toucher / À quelque chose d’intime et qui peut se donner / Dans le corps (ou peut-être son cœur) de quelqu’un. »
On pourrait parfois penser que le poème de James Sacré s’inscrit dans une forme de nostalgie, elle-même enserrée dans ces figures de solitudes. Ce pourrait être notamment le cas avec l’évocation des Pouilles, de Galipoli et de Gravina, avec l’évocation du Maroc recoupant le souvenir de Cougou et de la Vendée (par exemple dans la sublimation du petit caillé), ou bien encore avec l’évocation de l’Andalousie ou de certains espaces traversés aux États-Unis qui sont « comme en des coins perdus de Vendée ». Mais ce n’est pas sur la scène de la nostalgie que se retrouve le lecteur, c’est sur celle de la tendresse et de l’émotion retenue. Nulle cajolerie mais un langage qui bouleverse dans la discrétion et la subtilité, faisant de tous ces lieux de solitudes des lieux de vie et non pas d’anciennes photos qui respireraient déjà la mort.
Face à la vitesse qui emporte les jours et le souvenir, il s’agit de s’ébrouer un peu comme un jeune chien dans les mots du poème, de s’inscrire dans son incommensurable mesure pour mieux retenir ses chevaux galopants, les mots qui se précipitent vers l’avant avec trop de fougue. Vitesse et distance – déferlement du langage, éloignement du souvenir qui tend à disparaître « brûlé d’oubli » – sont comme deux forces antagonistes ou paradoxales qui cohabitent et génèrent une tension et un mouvement oscillatoire qui fait que rien ne s’oublie jamais. C’est dans la « carrière de mots » que tout se passe, dans ce creuset dont le poète ne sait pas très bien s’il lui permet de dire ou s’il est un empêchement : « Écrire ou mécrire / On ne sait plus comment s’y prendre ». Quoi qu’il en soit, quelque chose vient, qui s’appelle poème, à partir d’un « vide qui prend forme en perdant sens ».
« La vie passée disparue, tout continue ». Et c’est peut-être ne cessant jamais de détruire le rêve du poème qu’un nouveau poème peut naître. Nous suivons le désarroi dans chaque solitude, mais ce n’est pas du découragement. Le poète en appelle à la permanence de l’écriture : « Je voudrais que le poème ne m’abandonne plus / Dans ce qui reste à vivre ». Et cette écriture devient un bâton de pèlerin pour aider à traverser en étant traversé. « Traverser continue. » Traverser emporte le lecteur dans ce nouvel opus auquel on revient sans cesse. Lire et relire James Sacré et, avec lui, habiter en poète, habiter en bonheur de poème.
Régis Lefort

James Sacré, Figures de solitudes, Tarabuste Éditeur, 2022, 156 p., 14€


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