- Vous refaites le même chemin, mais vos points de départ et d'arrivée sont différents analysa le drogman.
- On ne revient jamais vraiment d'un voyage, acquiesça Henri.
- J'appelle cela des voyages de non-retour, conclut le drogman...
Ce dialogue illustre le propos de Matylda Hagmajer, dont le roman Voyages de non-retour se déroule sous le règne de Louis XIV, de 1682 à 1692, et dont les voyageurs sont trois jeunes Marseillais, Guillaume, son frère jumeau Henri, et Violaine.
Précédemment, la Compagnie des Indes orientales a été créée par Jean-Baptiste Colbert avec pour objet, entre autres, de rivaliser commercialement avec les Anglais. Son directeur s'est établi à Surate. Pondichéry est son premier comptoir en Inde.
Pour qu'une sordide situation tombe dans l'oubli, les parents de Guillaume et d'Henri, les envoient aux Indes pour suivre une formation dans le commerce des indiennes en plein essor: il n'y a pas de meilleure moyen au monde que de l'apprendre sur place.
Quel est le coupable de ladite situation, ils ne le savent pas. Aussi ne veulent-ils pas qu'ils voyagent ensemble. L'un, Henri, empruntera la voie terrestre, l'autre, la voie maritime, sous prétexte que la Compagnie des Indes orientales puisse les comparer.
L'un comme l'autre seront recommandés par Jean-Baptiste Colbert lui-même grâce à leur cousin, directeur au bureau général de la Compagnie à Paris. Guillaume et Henri, résignés, ont cependant l'heureuse perspective de se retrouver un jour aux Indes.
Violaine Ortolano, orpheline, a été élevée par sa tante Hilda, qui l'a abreuvée de récits de voyage. À la mort de celle-ci, elle s'est retrouvée dans un orphelinat. Quand elle en sera mise dehors, elle sait que la suite de sa vie sera vouée à la prostitution.
Violaine commence à faire l'orphelinat buissonnier. Sur le port elle assiste à la mort violente du petit Philippe, qui, mais elle ne le sait pas à ce moment-là, est liée à la sordide situation évoquée plus haut, où l'un des deux jumeaux Montferré est impliqué.
N'attendant pas d'être chassée de l'orphelinat, Violaine prend les devants et la fuite et, à son tour, part pour les Indes. Elle embarque sur le même bateau que l'un des deux jumeaux, Henri... Elle fera la connaissance de l'autre, Guillaume, bien plus tard...
Les voyages, à cette époque-là, sont de véritables aventures. Le hasard, ou le destin, y fait souvent bien les choses. L'auteure en fait si bien le récit en en restituant le contexte que le lecteur, pourtant dépaysé, n'est pas surpris que les héros se croisent.
La Révocation de l'Édit de Nantes, le 18 octobre 1685, et l'édit du 26 octobre 1686 prohibant le commerce et le port des indiennes, ces cotonnades illustrées, où les couleurs dominantes sont le rouge et le bleu, auront infléchi l'existence des trois héros.
Ces interventions publiques s'avéreront d'ailleurs plus néfastes que le mal qu'elles prétendaient indûment combattre et inciteront à leur contournement, ce que l'auteure fait bien de montrer, comme elle a raison de dire avec Violaine, ce à titre individuel:
Qu'importe ce qui est inéluctable. Ce qui compte, ce sont les choix que l'on fait pour soi.
Francis Richard
Voyages de non-retour, Matylda Hagmajer, 392 pages, Slatkine