Des images pensives dans des mots toujours plus nets,
avec Anne-Marie Beeckman
La langue n’est pas là que pour rendre compte et elle sait aussi montrer, produire des images qui ouvrent l’habitacle où nous sommes, lequel habitacle n’en a que trop besoin pour respirer. Suivent assurément la piste revendiquée par le surréalisme, Anne-Marie Beeckman écrit de courts poèmes endiablés d’imaginaire, noyaux déclencheurs de rêves et d’autant de possibles. Car, en deçà de toute logique, il y a ces puits sans fond où veut bien se nourrir la positivité la plus hardie, puisque tout ne saurait naître d’une chambre-à-calcul. Visionnaires, les poèmes d’Anne-Marie Beeckman ne prédisent pas l’avenir, mais ils élargissent le champ où se tenir. C’est là une force de ce type d’écriture, quand elle n’est plus un jeu formel en soi, le style étant parfaitement au point, mais qu’elle ose visiter la part cachée d’une réalité où des esquisses de liberté se peuvent toujours tisser, indéfiniment.
Sous ton corset, demoiselle, l’aigle a serré les poings. Sur la page, ces mots commentent l’inassouvissement des germes. Un temps désiré, le sein lacéré disparaît sous la gaze. On pousse sous le lit les feuilles teintées d’iode et de sang. On tient l’oursin des neiges dans des doigts délicats. L’aigle s’efface, on bat des cils au passage des ailes. Les petits liens, boucle à boucle, resserrent le gorgerin. La demoiselle languissante évanouit ses congénères. On ne survivra pas à la blancheur. (1)
Une mémoire peuplée de contes, de mythes et de désir, c’est le bagage d’encre d’Anne-Marie Beeckman, qu’elle transmet à son lecteur pour de micro-voyage surprenant et des arrivées comme des dévoilements soudains.
Des remarques lumineuses : « Je n’aurai pas mangé tes secrets à la coque. » (2) Des questions saugrenues et gaies : « Que sera l’intromission d’un fémur dans la sarbacane ? » (3) On est ici en terre de liberté totale, où la cruauté n’est pas exclue, ni l’infinie douceur, ni la fuite vers un monde où l’étranger se veut compris, « Coup d’arc dans l’œil écartelé. Le monde redevient ce qu’il est : une poussière sur l’étagère. » (4)
Débarrassée de la psychologie et des atrophies qu’elle entraîne, à nouveau l’écriture nous enchante, nous rassemble. Elle reprend sa vertu performative, créatrice d’espace et résistante à l’oppression des slogans de tous bords.
En quelques décennies, Anne-Marie Beeckman a sans doute assez peu écrit, mais rien qui ne soit fertile, éclatant. N’ayant pas lu toute l’œuvre je ne puis être trop affirmatif, mais j’y sens tellement l’exigence et la justesse, comment n’inviterais-je l’autre à s’y engager, à y venir voir et trouver l’éclat qui manquent si souvent à nos journées souvent chargées de réclames bavardes. Tandis que nous oublions que la poésie peut être une exceptionnelle pourvoyeuse d’images et de souffle. Anne-Marie Beeckman nous en administre la preuve, avec une lucidité qui ne se dément à aucun titre.
Les violettes sont robes closes. Une princesse, encore une, ouvre leur cléistogame. Sous terre, avec les courtilières. Son petit doigt pressé contre les cosses vertes. Impérieuse. Sale gamine !
Tu veux voir le sang secret des prétendants ? Méfie-toi des armures vides. Méfie-toi du gant de fer de l’absence. Des étriers vidés. Du talon vide qui t’éperonne. Du vide qui n’absout rien. L’amour mort te creuse au flanc mille serrures. Les clefs rouillent au fond du lac. (5)
Jean-Claude Leroy
Anne-Marie Beeckman, Les Heures, éditions Pierre Mainard, 2021, 80p. 13 €
1) Anne-Marie Beeckman, Les Heures, p. 26.
2) Ibid. p. 40.
3) Ibid. p. 41.
4) Ibid. p. 47.
5) Ibid. p. 69.
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