Je souhaite aujourd’hui compléter cet hommage par des extraits de ses livres, ce qui est au fond la plus belle façon de rendre hommage à un écrivain, de faire vivre la présence de son œuvre et de lui être fidèle.
Extraits de De l’air
voir ce qu’on fait de tas de photos plus ou
moins clos par la mort disons rien – des yeux
autant qu’un tas de chaussures ou une liste de
noms – à force on finit souvent par ne plus
savoir et laisser s’ensabler
« enfance sacrifiée » – ça veut dire quoi – à
quel semblant d’histoire – on n’en sait rien –
les billes tournent sans rien dire en tête –
visages vivants par leurs yeux morts
(p. 15)
*
glycine oui violet de quelques grappes
encore en fleurs vieilles la mère
dans les violets passés désuets
cancer ou la corde du temps
brins de vie qui tiennent
attendre quoi fin sûre attendre
jusqu’à ce que casse
cette mécanique usée du cœur
pluie grise septembre
dans le lent de l’automne
et la baisse du jour
un encombrement d’ombres
(p. 50)
Antoine Emaz, De l’air, Le Dé bleu, 2006
Extraits de Peau
VERT, 1 (31.09.05)
on marche dans le jardin
il y a peu à dire
seulement voir la lumière
sur la haie de fusains
un reste de pluie brille
sur les feuilles de lierre
(p. 25)
*
pas de peur
simple
marée basse
sans vent
courtes vagues plates
vitre d’eau plaques
qui se succèdent
sans bruit
échoué
sur une longue plage de sable
médusé
au bout de la lumière
on ne sait pas
quelle nuit
(p. 94)
Antoine Emaz, Peau, Tarabuste, 2008.
on continue
parce que le chemin des mots
tordu tortueux tors
reste le plus simple
il y aura une musique
même sourde
une basse continue de peine
pas trop chercher à y voir clair
poser le passé sur la table
en tas en motte
et attendre qu’il fonde
si on pose les choses
elles finiront bien
comme les morts
par reposer
même si
dire en paix
c’est trop dire
(p. 158)
Antoine Emaz, Plaie, Tarabuste, 2009
Extraits de Os
guerre glycine il y a bien un rapport
comme entre ciel et seul
on ne voit pas où ça mène
on va c’est bien assez d’aller
encore avec les mots
poème qui bouge indécis
parmi ses possibles peut-être
au bout seulement le défilé
du mot poème et non plus
guerre ou glycine ou lumière
c’est égal les mots portent
plus et moins que nous
dans leur trajet d’air court
ils vont vite on essaie
de garder un peu de leur sable
qui brille noir
(p. 87)
Antoine Emaz, Os, Tarabuste, 2004