Je ne sais pas si quelqu'un a déjà fait cette citation, mais si tel n'est pas le cas, considérez que c'est maintenant fait. Les humains à la peau noire ont inventé la musique telle qu'on l'a connait de nos jours. Ils l'ont créé comme source d'exutoire. Et les blancs, en commençant par Elvis, leur ont tout emprunté.
Elvis reprenait sur scène Chuck Berry, Big Mama Thornton, Lloyd Price, Laverne Baker, Junior Parker, Arthur Gunter, Roy Brown, Smiley Lewis, Arthur "Big Boy" Crudup, Ray Charles, Fats Domino, Big Joe Turner et Roy Hamilton. Les Beatles commençaient leur carrière en reprenant les Isley Brothers et la terminaient avec John copiant Chuck Berry et George commençait sa carrière solo en copiant The Chiffons. Deux causes perdues devant les tribunaux. Les Rolling Stones prenaient leur nom d'une chanson de Muddy Waters, et reprenaient, à leurs débuts tous les grands noms du blues Étatsunien. Territoire presque 100% peuplé de créateurs à la peau noire.
Il ne fait aucun doute. Les humains à la peau noire on leur doit beaucoup. Et comme je suis très profondément investi dans le monde de la musique et l'univers musical en général, je leur doit tout, à ce niveau.
Je ne fais plus l'effort d'écouter des artistes à la peau noire dans le mois de l'histoire des noirs. Je les écoute à l'année.
Mais pour ce mois de l'histoire des noirs, voici 30 fois où la musique créée montrait non seulement le talent rythmique des artistes à la peau noire, mais changeait aussi le monde de la musique en général. Et nos sociétés Nord-Américaines.
1927, Louis Armstrong: Il y avait beaucoup d'artistes notables dans le jeune jazz des années folles. Jelly Roll Morton, Sidney Bechet, Duke Ellington. Mais quand le jeune Louis, prodige de la trompette de la Nouvelle-Orléans vole la vedette dans le band de Fletcher Henderson, la ragtime des années 20 peut devenir simplement instrumental et ça révolutionne complètement le jazz.
1936, Robert Johnson: Qui sait vraiment ce qui s'est produit à la croisée des chemins de Clarksdale, au Mississippi? Johnson y aurait échangé son âme au Diable contre ses dons à la guitare de blues. Il est toutefois indiscutable qu'il ait eu une nette influence sur Muddy Waters, Eric Clapton ou Keith Richards. Pour ne nommer que les plus connus.
1938: Sister Rosetta Tharpe: Enfant, on la disait prodige. Mais quand elle branche sa guitare (anciennement acoustique) électrique dans son église, chantant "Rock Me". Elle surprend carrément tout le monde, et inspire grandement Elvis Presley et Little Richard. De leur propre aveu. Cette année-là, elle enregistre 4 chansons en studio. Électriques.
1939: Billie Holiday: Quand la chanteuse offre Strange Fruit sur scène, au New York's Cafe Society, le propriétaire lui ordonne de jouer cette chanson en dernier, que tous les serveurs cessent de travailler, que toutes les lumières soient éteintes, qu'une seule n'éclaire le visage de la chanteuse afin que tout le monde écoute attentivement les mots du poète Abe Meeropol qui demandait au monde comment pouvait-il fermer les yeux sur les lynchages en cours ?
1950: Miles Davis. Après avoir été à l'école du son chez Charlie Parker dans un ensemble de 9, Miles invente le "cool". Il troque le bebop pour le style introspectif influencé par la musique classique. Ce changement de ton fera naître le "cool jazz". Le disque ne sort pas avant 7 ans, encore. En 1957. Miles sera déjà ailleurs rendu-là. Mais en 1950, il réécris les règles du jeu, dans le jazz.
1956: Chuck Berry. L'extraordinaire rockeur de St-Louis chante "You Can't Catch Me", ce que tenteront de faire toute leur vie, Mick, John, Keith, Paul, Mick, Ronnie, Brian, et Georges. Les Beatles, les Rolling Stones et combien d'autres lui doivent de l'inspiration adolescente qu'ils traineront toute leur vie adulte. Berry sera immense pour la génération entière des baby-boomers et toutes celles qui suivront.
1959: Fats Domino: Quand le pianiste de la Nouvelle-Orléans présente son rhythm & blues, au Montego Bay Festival de Jamaïque, deux ans plus tard, il sera traité comme de la royauté. Pendant des années, les amateurs de musique de Jamaïque ont écouté la musique d'un faible signal radio de Miami. Et depuis 1959, ils attrapent Fats Domino très souvent, qui leur inspirera le ska.
1961: Motown: Ce son devient celui d'une génération, aux États-Unis et en Amérique du Nord. Déçu de ses gains dans les ventes de Lonely Teardrops, de Jackie Wilson, le compositeur Berry Gordy décide que le vrai argent sera dans les droits d'auteurs. Il lance sa boîte à lui, Tamia Records, qui deviendra Motown, l'année suivante. Hitsville, U.S.A est né. The Supremes, Marvin Gaye, The Temptations, The Marvelettes, et tant d'autres viendront colorer la musique des années 60, par ici, de bonheur.
1962: Ray Charles: croisant soul et musique country, y glissant du gospel, il fait un mélange que la société Étatsunienne n'arrive même pas à faire avec ses propres citoyens. ABC-Paramount lui offre 50 000$ pour performer un an exclusivement pour lui. Du jamais vu, autant d'argent, pour un artiste à la peau noire. Son album Modern Sounds in Country & Western Music très très bien reçu. Un des préférés critiques et public. Crooner, country, jazz, blues, gospel.
1964: The Impressions: Le maire d'Atlanta, et ambassadeur des Nations Unies, dira de Curtis Mayfield qu'il était prophétique. Qu'il chantait la vision d'une génération entière. Qu'il chantait absolument son époque. Au sein de la formation qu'il quittera pour une toute aussi fameuse carrière solo dans 5 ans. Mayfield chantait le poing levé, et le visage dur du revendicateur de la simple justice pour tous.
1966: John Coltrane: Avec son style improvisé on dit qu'il a influencé le son psychédélique qui naissait au même moment. Eight Miles High des Byrds serait considérée comme la première chanson psychédélique et directement influencée du style bigaré de John Coltrane. La chanson fût d'ailleurs bannie des ondes radio parce que trop accentuée autour de l'univers de la drogue. Frank Zappa et Jimi Hendrix seront influencés par la maître Coltrane et Flying Lotus qui fera un hommage à sa grand tante, Alice Coltrane.
1967: Aretha Franklyn: La fille d'un prêtre Baptiste a grandi dans une église de Detroit, à se faire aller la voix. Toutefois, une fois chez les maisons de disques, on la dirige très mal vers le jazz. Mais non, Aretha est d'abord et avant tout Gospel et soul. Cette année-là elle est tout simplement couronnée reine du soul en exigeant une des choses des plus simples au monde, mais qui n'est pas donné à tout le monde également: le respect.
1967: Jimi Hendrix: Quand un flamboyant guitariste termine son set, sur la scène du Festival de Monterey Pop, en mettant le feu à sa 6 cordes, un nouveau style de musique est né. À sa mort, trois ans plus tard, il n'a que 27 ans, mais a complètement réinventé le rôle de la guitare dans une chanson. Des artistes aussi variés que Miles Davis, Prince ou Stevie Ray Vaughan ont profondément été influencé par l'artiste.
1970: Fela Kuti: Le Nigérien invente l'afrobeat. Il avait déjà 30 ans quand il passe un an à Los Angeles avec son band. Il absorbe la philosophie des Black Panthers assez vite, et ramène chez lui le côté confrontateur dans son pays natal afin d'affronter (fatalement pour sa famille) les riches patrons, propriétaires de compagnies d'huiles. Son style, entre le jazz, le funk et définitivement dans le jam répétitif, rend sa musique impossible à ne pas avoir envie de bouger. Talking Heads, Antibalas et Tune-Yards en seront tous largement influencés.
1971: Sly & The Family Stone: Quand James Brown fait exploser le monde du soul, Sly et sa famille
1973: DJ Kool Herc: ou Clive Campbell était un des 6 enfants de sa famille de Jamaïque. Il expérimente ses propres systèmes de sons, et quand sa famille émigre dans le Bronx, il importe ses tables tournantes et ses expériences: il invente la table tournante comme un instrument de musique dans le hip-hop. Il choisit scrupuleusement des passages de James Brown, Booker T. & The M.G's de plusieurs autres et réinvente les rythmes avec sa technique de disque frottés temporairement, et à des moments précis. Jouant sur 2 tables tournantes. Son invention fera école chez tous les DJ du monde entier deviendra le scratch.
1973: Gamble & Huff: Après avoir produit beaucoup de hits dans les années 60, Kenny Gamble et Leon Huff forment leur propre band de Philadelphie afin de compétitionner directement avec l'étiquette Motown. Leur band maison, Mother Father Sister Brother, créé un style dance combiné avec des rythmes rebondi, axés sur la guitare base. The O'Jays, Harold Melvin & The Blue Notes, leur "Philly soul" attire bien des gens, dont mon David Bowie, deux ans plus tard. Gamble & Duff sèment le germe du disco.
1978: Gloria Gaynor & Donna Summer: La première signe l'hymne national de quiconque veut survivre à une épreuve. Encore plus populaire chez les minorités comme les humains à la peau noire et chez la communauté homosexuelle, largement réprimée, elle aussi, pas mal partout. Donna pulvérise tous les records de vente, peu importe la couleur de la peau, et fait danser non seulement l'Amérique, mais le monde entier. Elle vendra plus de 100 millions de fois. Et sera la seule à offrir trois albums double qui atteindront la première position des ventes. Elle est inconstestablement la reine du disco.
1978: Bob Marley: À cette époque, deux politiciens se haïssent tant qu'on est prêt à se tuer, en Jamaïque. Marley est celui qui pourrait les unir, les deux se l'arrachent. C'est pourtant Marley qui passera près de la mort. On le tire, et il fait son spectacle, quand même. Une balle dans le bras. En 1976. Ils avaient raison, cet homme était un Dieu. 2 ans après, son spectacle, qui avait comme but d'établir un climat de paix, sera considéré comme le Woodstock du tiers-monde. Le roi du reggae est déifié.
1982: Frankie Knuckles: Déjà un DJ connaissant beaucoup de succès à New York, travaille maintenant à Chicago. Un de ses amis ouvre un club qui y joue un croisement de disco, de rare soul, et de style européen d'avant-garde. Kuckles y ajoute une batterie artificielle. Il invente, le house. Madonna, ou Underworld, ils seront nombreux à être influencés du genre. Encore plus nombreux à le danser.
1983: Micheal Jackson: MTV existe et Micheal brise la barrière des couleurs en étant l'artiste le plus joué en clip, le plus vendu en disque dans tous les palmarès, le plus joué en ondes et le plus écouté dans le monde. Pendant un gros deux ans. C'est carrément un apartheid culturel. Il révolutionne la musique en étant le noir engageant les stars blanches comme artistes invités sur ses chansons. Avec le temps, on apprendra que Billie Jean était son amante.
1984: Prince: Le multi-instrumentiste Prince avait déjà 5 albums à son actif quand il lance son Purple Rain. Film culte et disque culte. Cet album insultera Tipper Gore, épouse infirme des sens de Al Gore, qui ne fait l'amour que pour faire des enfants, avait co-fondé le Parents Music Ressource Center qui avait placé 3 chansons de Prince parmi les 10 à bannir de partout, parce qu'on y sentait le plaisir sexuel. Prince sera toujours très sexuel. Parce que vous savez quoi? Sans sexe, personne n'existe.
1988: Public Enemy & N.W.A.: Les médias ont appelé le style "Gangsta rap". Mais les artistes eux-mêmes qualifiaient leur musique de "simple réalité de leur quotidien". À Compton pour N.W.A. Chuck D, de Public Enemy, parlera de son band comme du CNN pour les humains à la peau noire. On est frontal dans les accusations par rapport aux attaques injustes contre la population à la peau noire aux États-Unis. C'est toujours pertinent, en 2022. C'est si vrai que Dr Dre, de N.W.A. était dimanche, du spectacle de la mi-temps, au Super Bowl.
1989: James Brown: Le parrain du soul devient l'artiste le plus échantillionné du monde de la musique, du hip-hop surtout. Grâce aux DJ Kool Herc, à Afrika Bambaataa pu Grand Masterflash, Brown reste partout dans la musique sans réellement créer rien de nouveau. Même si son style de musique avait inspiré amplement le funk, il inspirera maintenant deux décennies de rap. Public Enemy, Eric B. & Rakim, LL Cool J et tant d'autres imiteront tout ça.
1992: Whitney Houston : L'une des plus importantes pop star des années 80, avec une chanson, reprise de Dolly Parton, pour un film, dans lequel elle jouait, devient un absolu succès tout palmarès confondus. Sa chanson reste en tête du palmarès, en Amérique, pour un nombre record de 14 semaines consécutives. Ce sont 3 mois et demi. Avec cette seule chanson, elle vend plus de 40 millions de fois dans le monde.
1995: Tupac Shakur: le hip-hop n'était pas encore le tremplin des morts-en-devenir. C'était toutefois la musique que les parents (je ne l'était pas encore) aimaient haïr (je n'aime pas tant, non, je m'ouvre, à peine, parent deux fois- reconnus)Tupac est différent. Il a lancé un album hommage à sa mère. Il a une formation en arts, a étudié le théâtre et aime Shakespeare. Il a amené une sensibilité poétique à un genre masculiniste. Il a été assassiné un peu avant son rival, Notorious B.I.G. qui subira le même sort, depuis, dans le hip hop, se faire tuer ou mourir précocement, n'est pas complètement anormal.
1999: Jay-Z: Le jeune Brooklynois connu sous le pseudonyme de Jay-Z était un artiste indépendant quand il lançait son premier album, en 1996. Avant la fin de la décennie, il sera roi de l'empire du rap en faisant du rap, une industrie pouvant créer des multi millionnaires, lui le premier. Son étiquette expose ce que peut faire Kanye West. Et bientôt, Jay-X vaut à lui seul, pas moins de 900 millions. It's good to be black. Shawn Corey Carter montre à tous comment faire du gros fric, proprement.
2016: Beyonce: Avec une assurance fort séduisante, aussi incapable que Lady Gaga de porter le pantalon, la belle du Texas lance des albums secrets aux thèmes très intimes, tout en étant très publics. Jay-Z, son époux, l'a trichée. Elle devient le nouveau modèle du "stand by your man". Tout en s'établissant la figure de proue de la revendication féministe Étatsunienne. Paradoxale me diriez-vous ? un peu, oui, mais hyper payant. Toujours.
2018: Kendrick Lamar: Le prix Pulitzer, dans le monde de la musique, existe depuis 1943 et a récompensé des compositeurs classiques comme Aaron Copland ou Samuel Barber. Ou des cerveaux du jazz comme Wynton Marsalis ou Ornette Coleman. C'est pointu comme prix. Mais quand Lamar devient le premier musicien "pop" à le gagner, avec son 4ème album, les honneurs affluent. On se l'arrache comme collaborateur absolument partout. Même Bowie. Encore de nos jours, il est une importante influence. Il était de la mi-temps du Super Bowl.
2018: Childish Gambino: Donald Glover est très intelligent. Derrière le comédien comique se cache un narrateur critique de la condition des humains à la peau noire en Amérique du Nord. Ses satires évidentes, du moins dans ses clips, font autant de clins d'oeil à Jim Crow qu'à la tuerie raciste de l'église de la Caroline. Musicalement, il est extrêmement avant-gardiste. Dans sa série télé Atlanta, aussi avant-gardiste, que noir. Dans tous les sens du terme. Son clip pour This Is America, raconte justement, les États-Unis avec de fort intéressantes subtilités. C'est pas toujours beau.
Le noir est une couleur tout simplement superbe pour moi.
Mes voitures l'ont toutes étés, le seront toujours.
Mes oreilles et mes yeux adorent le noir.