« On ne change jamais les choses en combattant la réalité. Pour changer quelque chose, il faut construire un nouveau modèle qui rende le modèle existant obsolète ». Cette phrase de l’architecte et philosophe américain Buckminster Fuller (1895-1983) résonne avec l’actualité alors que la crise sanitaire COVID-19 doublée d’une crise économique, sociale et existentielle alerte avec fracas sur nos excès et nos contradictions.
« Ruptures… et renaissance ! » n’est-ce pas le sens de la vie, de l’Histoire depuis la nuit des Temps ? L'humanité oublie parfois qu’elle doit s'adapter pour survivre… Et si la disruption a été un choc pour beaucoup, elle est aussi une formidable opportunité de repenser nos modèles : « Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise » disait Churchill !
Depuis 2013, grâce au Forum Changer d’Ère, plus de 400 personnalités ont éclairé ou alerté les décideurs sur l’accélération des savoirs, des sciences, des ruptures économiques, environnementales et sociétales, avec l’ambition de les aider à mieux comprendre et à s’adapter à ce monde qui vient.
Après la rupture, voici le temps de la reconstruction, de la renaissance. Ma conviction est que nos sociétés peuvent progresser en donnant une autre dimension au rôle social des organisations à l’heure où l’inclusion des plus fragiles, la préservation de la biodiversité et la défense de nos valeurs héritées des Lumières sont les enjeux majeurs de ce début de III° millénaire.
Quelle utopie réaliste allons-nous donc inventer pour demain ? « L’utopie ne signifie pas l’irréalisable, mais l’irréalisé » pour reprendre le mot du grand naturaliste et explorateur Théodore Monod. Comment dépasser l’anthropocentrisme, cette vision instrumentale de la nature réduite trop souvent à un ensemble de ressources, dont nous disposerions jusqu’à épuisement ? N’est-il pas temps de se penser comme « un tout », dans la biodiversité et dans l’altérité des autres vivants, de ceux que certains nomment les « autres qu’humains » ? Et comment substituer aux modèles économiques actuels des modèles durables et créateurs d'emplois ? Comment atteindre l‘équilibre, cet état situé à mi-chemin entre nos excès irresponsables et le dogme de la décroissance totale ?
Au-delà de la transformation technologique et numérique, une révolution culturelle et générationnelle est enclenchée. Saurons-nous poursuivre cette urgente métamorphose qu’appelaient de leurs voeux Jacques Robin, le fondateur du Groupe des Dix, et les pionniers français de la systémique qui inspirent tant Forum Changer d’Ère ?
Saurons-nous prendre suffisamment soin des autres, des populations les plus fragiles, nous engager pour le bien commun ? Saurons-nous répondre à ces questions fondamentales : qu’est-ce qui nous rassemble, nous Français, Européens, et au-delà êtres humains ? Quels sont nos désirs communs, ceux qui nous permettront d’envisager ensemble le futur avec sérénité, de bâtir un monde d’autant plus fort qu’il serait plus fraternel ? Qu’est-ce qui nous lie profondément au-delà de nos différences ?
« Personne n’est intrinsèquement autre, il ne l’est que parce qu’il n’est pas moi » écrivait le regretté Tzvetan Todorov dans Nous et les autres (Seuil, 1992). Quels droits et devoirs pour garantir la démocratie et le respect de l’autre dans la réciprocité, alors que menacent le populisme, la xénophobie, les théories du complot sur fond de déconstruction des idées universalistes ?
Tant de signaux alertent sur la fragilité des démocraties. Ils rappellent que derrière les peurs et le malheur sont tapies dans l’ombre ces passions mauvaises : la haine et l’intolérance qui nourrissent la défiance. Saurons-nous croire en nos semblables (semblables sans être identiques) et raviver, comme l’intime la plus belle devise au monde, cette fraternité qui orne nos frontons républicains ? Ce socle sans lequel les autres valeurs républicaines n’ont aucun sens. La peur ne doit pas être érigée en valeur, ni la défiance une fatalité. Pour autant, la confiance et l’équilibre ne se décrètent pas : ils se construisent pas à pas. Parce qu’on ne construit rien en séparant, rien en divisant. À moins de diviser pour partager. Mais saurons-nous partager sans diviser ?
Le moment est venu de bâtir un nouveau récit, qui redonne du sens et insuffle un nouveau souffle à la grande aventure humaine. Non par la pensée magique ou par une réécriture de l’Histoire comme trop souvent nous sommes tentés de le faire. « Les nations décadentes sont celles qui refusent de s'adapter à un monde changeant » écrivait Raymond Aron dans ses Mémoires. Nous sommes sans aucun doute à l’aube d’une ère nouvelle : toutes ces ruptures, ces crises, ces chocs sont révélateurs.
Ils nous disent ce que nous avons tant de mal à accepter : que nous sommes déjà dans le monde d’après ! C’est sans doute pour cela que ce « monde d’après », que tant de gens ont idéalisé, n’est pas si différent du monde d’avant… À ce déjà galvaudé « monde d’après », je préfère l’expression populaire : « Demain est un autre jour ». Parce que chaque nouveau jour est porteur d’espoir. Et Changer d’ère pour le meilleur se construit pas à pas, chacun de ces « autre jour ».
Alors que nous vivons un de ces tourbillons de l’Histoire susceptible de faire chavirer le fragile équilibre du monde, il est urgent d’apprendre à construire sur ce qui rassemble. Construire sur ce qui rassemble n’est plus une option, c’est une question de survie. C’est aussi le message du Forum Changer d’Ère. »
Véronique ANGER-de FRIBERG. Présidente et fondatrice du Forum Changer d’ÈreÀ retrouver sur la chaîne YouTube du FCE