Le monde connait actuellement une grave crise de l’énergie. Les climato-réalistes ont depuis longtemps mis en garde contre les dangers de la politique climatique dominante. Leur raison d’être était et reste d’apporter un peu de réalisme (c’est-à-dire de doute, de critique, de complexité, de raison, de mesure) dans l’analyse du réchauffement : de ses causes, de ses conséquences, et de ses politiques. D’y mettre un peu moins de religion et un peu plus de science.
La doxa est simple comme une idéologie. Elle s’articule en trois propositions liées, enseignées dans toutes les écoles du monde développé. Un, le réchauffement a une cause unique, les rejets anthropiques de gaz carbonique. Deux, il a des conséquences apocalyptiques qui conduisent très rapidement à la disparition de notre planète. Trois, il impose donc une politique radicale : engager immédiatement et coûte que coûte le grand remplacement des énergies fossiles et nucléaire par l’énergie éolienne et photovoltaïque.
Le pays où le triomphe de cette politique a été le plus total est l’Allemagne. Dans ce pays de philosophes et de poètes bons élèves, on ne fait pas les choses à moitié, et l’Energiewende a consisté à fermer les centrales nucléaires (il en reste encore trois) à réduire l’usage du charbon et du lignite pour la production d’électricité, et à couvrir le pays de dizaines de milliers d’éoliennes et de champs de panneaux photovoltaïques à coup de centaines de milliards d’euros de subventions. Beaucoup d’autres pays ont suivi cet exemple, et l’Allemagne l’a fait adopter par la Commission européenne.
Il était facile de prévoir que ce système n’était pas durable. Les climato-réalistes s’y sont employés. Ils ont mis en évidence deux inconvénients de ce système. Le premier est qu’il coûte horriblement cher. Le prix de l’électricité est en Allemagne deux fois plus élevé qu’en France. Le second est que ce système dépend du gaz. Éolien et photovoltaïque souffrent en effet d’intermittence aléatoire : ils ne produisent de l’électricité qu’un petit nombre d’heures par an, et surtout à des heures imprévisibles. Pour répondre à la demande d’électricité, il faut donc disposer de sources capables de démarrer immédiatement – en pratique, de gaz. Le gaz est ainsi l’indispensable allié des renouvelables intermittents. Plus il y a d’éoliennes, plus on a besoin de gaz. La Commission européenne, à la demande de l’Allemagne, le reconnait explicitement. Elle condamne vertueusement et violemment tout recours aux « énergies fossiles », mais considère néanmoins le gaz (une énergie fossile qui rejette juste deux fois moins de gaz carbonique que le charbon) comme une énergie durable et vertueuse. Les amis de nos amis sont nos amis.
Cette dépendance au gaz engendrée par l’Energiewende était de fait une dépendance à Gazprom et au gouvernement de la Russie. On savait très bien que la production des gisements de gaz de la mer du Nord, après ceux des Pays-Bas, allait diminuer, et que celle des gisements de Russie (que les firmes d’Europe de l’Ouest contribuaient d’ailleurs à développer) allaient augmenter. Les climato-réalistes n’ont cessé de souligner que le prétendu tout-durable était un danger pour notre indépendance. C’est peu de dire qu’ils n’étaient pas entendus. L’Energiewende était, tous les Verts le répétaient à l’envi, un succès total, un modèle à suivre impérativement. En douter était « négationniste ».
Les marchands de gaz, Engie et Gazprom, savaient tout cela depuis longtemps. Ils ont toujours fait campagne contre le charbon et le nucléaire, et en faveur de l’éolien. Exactement comme les Verts. On a même quelques raisons de penser que Gazprom a généreusement soutenu des ONG comme Greenpeace dans ce combat commun. Curieusement, d’ailleurs, le seul gaz que la doxa occidentale chérissait était le gaz russe (ou quatari). Nos écologistes, et notre Commission européenne, étaient violemment opposés à tout gaz de schiste chez nous. Ils réussirent à en empêcher l’extraction au Royaume-Uni où des gisements avaient été identifiés, et à interdire en France la simple recherche de tels gisements. Bravo aux influenceurs de Gazprom : ils ont bien mérité les profits qu’ils empochent actuellement.
La crise actuelle, cependant, change la donne. Elle rend audible les analyses climato-réalistes, elle ouvre des yeux. Pas ceux de tout le monde : Yannick Jadot en tire la conclusion que, le gaz (même russe) étant un combustible fossile, et les combustibles fossiles une incarnation du diable, il nous faut copier l’Energiewende, en plus gros. Heureusement, en Allemagne même, les choses commencent à évoluer. On y murmure que l’Energiewende est peut-être un échec. Le gouvernement, y compris les puissants ministres Verts de l’Economie-et-du-climat et des Affaires Etrangères, a – mieux vaut tard que jamais – compris le danger de la dépendance au gaz russe. Ces ministres envisagent de rouvrir des centrales au charbon, et de ne plus fermer les centrales nucléaires qui produisent encore. Au train où vont les choses, ils vont sans doute bientôt prendre leurs cartes de climato-réalistes.
Par Rémy Prud’homme, Professeur des Universités (émérite).