Je ne connais pas cette poétesse. Les éditions Mémoire d’encrier m’a transmis ce recueil de poésie et je me suis plongé par étape dans l’univers de Lorrie Jean-Louis.
Une petite recherche avant d’écrire cet article me permet d’en savoir plus Lorrie Jean-Louis. Elle est née à Montréal de parents haïtiens. Elle est titulaire d’une maîtrise en littérature et elle est bibliothécaire. Le lieu de naissance et le rappel de l’origine de ses parents dans la terre de migration qu’est le Canada interpelle tout de suite le lecteur qui a lu dans le premier volet de l’ouvrage la séquence suivante :
Si je ne suis pas d’ici alors ici n’existe pas rêve monochrome aux parfums morts
Si je ne suis pas d’ici vos mains d’argile fondent sous la pluie
Si je ne suis pas d’ici le ciel n’est pas le ciel et l’ocre est rouge.
Il s’agit du deuxième poème du recueil qui pose deux thèmes importants de l’ouvrage : la légitimité à appartenir à un espace et la polychromie déjà portée par le titre du recueil. Il y a donc une dénonciation dans ce texte. Du moins on peut le lire ainsi. C’est extrêmement violent. Pour la poétesse. Mais surtout pour l’espace, l’ici qui ne fait plus sens. Le refus d’existence d’un individu possède des relents funestes. Le rêve monochrome… Alors nous sommes au Canada, même si Lorrie Jean-Louis parle plus d’Amérique. Il est donc question d’une expérience qui fait réfléchir alors qu’on annonce un pays d’accueil, à priori ouvert à différentes communautés.
Je suis l’Amérique Ma seule maison Ma seule histoire p.55
Il y a une radicalité dans le propos de Lorrie Jean-Louis et une affirmation de son ancrage en Amérique. On entend cette exclusivité. Même si je ne pense pas qu’Ayiti sorte de ce giron et que dans le fond que les îles des Caraïbes font partie du récit qu’elle revendique. Il faudrait le lui demander. Mais cela ne va pas au-delà. Et de nouveau, nous avons cette question raciale exprimée de manière plus forte :
où mettre le blanc ? il tache tout je vieillis trop vite depuis que les hommes crus sont arrivés ils me dévorent
tout meurt avec leur blancheur p.55
On ne peut pas être plus explicite. Et dans le fond, s’il s’agit de la parole de la poétesse, la fonction de ce genre est d’exprimer avec une certaine netteté un cri qui puisse être le plus audible possible. La dénonciation du racisme peut déranger. Une étiquette en France pour désigner son ouvrage le rangerait aujourd'hui dans le wokisme. La parole de Lorrie Jean-Louis serait rapidement anesthésiée de ce côté de l'Atlantique.
On peut voir dans la séquence suivante que la mer est tout de même le lieu où se forge l’histoire :
Je viens de mes origines mes origines viennent de la mer la mer boit tout
je n’arrête pas d’arriver moi l’étrangère noctambule des marées
j’arrive je ne finis pas je commence
je suis fatiguée la mer me recrache toujours
p.22
Il peut être question ici de ressac continu. D’arriver par vagues de migrants. Ou du combat du nouvel arrivant pour trouver sa place. La poétesse peut rigoler à me voir étaler des hypothèses de lecture. En page 63, la mer est le lieu du salut. Il y a donc pas mal de possibilités. Le dernier aspect du propos de la poétesse canadienne que je n’ai pas abordé est celui du corps. Le corps d’une femme. Il y a encore pas mal de chose à dire.
Je suis conscient que certains développements de la poésie exigent une lecture plus approfondie. Lorrie Jean-Louis doit également donner plus de billes pour une meilleure interprétation de son discours. Il n'empêche que les thèmes forts de ce livre à la couverture rose ne pourront que vous secouer et nous donner une vision moins idyllique du Canada.
Lorrie Jean-Louis, La femme cent couleursEditions Mémoire d'encrier, 2020, Prix des Libraires du Québec 2021