Les Écrits politiques de Benjamin Constant, publiés en 1997 par Gallimard, comprennent plusieurs textes, dont De l'esprit de conquête.
La troisième édition de ce texte date de 1814. Elle comportait un deuxième texte, De l'usurpation. Ces deux textes visaient Buonaparte.
Pour l'écrivain franco-suisse, qui défendait le principe de la liberté en tout, il s'agissait de dénoncer ces deux fléaux, incarnés par un même tyran.
En raison des circonstances, le premier texte apparaît d'une brûlante actualité, puisqu'il traite du sujet de la guerre qui n'est pas toujours un mal.
La guerre, chez les nations modernes, n'est plus dans leur caractère. La gloire militaire n'est plus un but. L'époque est celle du commerce:
La guerre et le commerce ne sont que deux moyens différents d'arriver au même but: celui de posséder ce que l'on désire.
Or le commerce a cet avantage que le but peut être atteint sans coup férir, en plaçant même l'intérêt des sociétés en dehors de leur territoire:
La guerre a [...] perdu son charme [avec la nouvelle manière de combattre], comme son utilité. L'homme n'est plus entraîné à s'y livrer, ni par intérêt, ni par passion.
L'homme qui se livrerait à la guerre par intérêt, et non pas pour une cause, se séparerait par un abîme moral, du reste de l'espèce humaine.
Contrairement à celui qui combat pour sa patrie et aspire au repos, à la liberté, à la gloire, il serait sans avenir et l'instrument d'un tyran insatiable.
Dans un système de conquête, la société se scinde en deux, entre les guerriers et la classe désarmée, qui leur apparaît comme un ignoble vulgaire:
Seul ce gouvernement [conquérant] est coupable, et nos armées ont seules tout le mérite du mal qu'elles ne font pas.
Pour les occuper et les tenir tranquilles, le souverain ne peut jamais redevenir pacifique: le système guerrier [...] contient le germe des guerres futures.
Le gouvernement doit alors corrompre la nation en lui parlant indépendance, honneur, arrondissement des frontières, intérêts commerciaux, prévoyance:
Les mensonges de l'autorité ne sont pas seulement funestes quand ils égarent et trompent les peuples: ils ne le sont pas moins quand ils ne les trompent pas.
Si les mensonges ne suffisent pas, le système a recours à la contrainte, sous forme d'espionnage et de délation, d'abandon des vertus inculquées:
C'est ce qu'on appelle raviver l'esprit public...
Avec la conscription, tout le monde est touché, le fils du commerçant, de l'artiste, du magistrat, le jeune homme qui se consacre aux études etc.:
La jeunesse se dira que, puisque l'autorité lui dispute le temps nécessaire à son perfectionnement intellectuel, il est inutile de lutter contre la force. Ainsi la nation tombera dans une dégradation morale, et dans une ignorance toujours croissante.
Les guerres ne profitent qu'à l'autorité et à ses créatures. Les peuples le savent bien: Une barrière morale s'élève entre le pouvoir agité et la foule immobile.
Les conquérants antiques se contentaient de l'obéissance des peuples et les laissaient vivre comme devant. De nos jours, ils veulent qu'ils leur soient uniformes:
La variété, c'est de l'organisation; l'uniformité, c'est du mécanisme. La variété, c'est la vie; l'uniformité, c'est la mort.
Aucun peuple ne peut indéfiniment en tenir d'autres en sujétion; tôt ou tard, ils l'auront en horreur. Son chef est le vrai coupable des excès qu'il commet:
C'est ce chef qui l'égare, ou, plus souvent encore, qui le domine sans l'égarer.
Les conquêtes sont à bannir de la terre, à flétrir d'une éternelle réprobation, car incompatibles avec les relations entre nations commerçantes, industrieuses, civilisées:
Une guerre inutile est donc aujourd'hui le plus grand attentat qu'un gouvernement puisse commettre.
Francis Richard
De l'esprit de conquête, Benjamin Constant, 62 pages, Gallimard
Autre écrit politique figurant dans ce volume de 880 pages:
De la liberté des anciens comparée à celle des modernes, 32 pages