Roman - 450 pages
Editions Philippe Rey - août 2021
Prix Goncourt 2021
A Paris Diégane Latyr Faye découvre l'existence mystérieuse d'un roman, Le Labyrinthe de l'inhumain, paru en 1938, d'un certain T.C. Elimane absolument méconnu. Nul n'a de nouvelles de ce que devint l'auteur, le roman n'est plus en vente. Où chercher ? Certaines femmes, escales sensuelles de Diégane, feront résonner la vie de l'écrivain déchu, accusé de plagiat, forcé à abandonner l'écriture. La plantureuse romancière Marème Siga D. pourrait bien détenir un exemplaire du roman. Elle est la fille mal-aimée d'Ousseynou Koumakh, pêcheur Sénégalais aveugle, et Siga morte en couches. Son père a élevé auparavant le petit Elimane Madag Diouf, né pendant la première guerre mondiale, alors qu'Assane - jumeau d'Ousseynou - abandonnait sa femme enceinte Mossane pour partir combattre pour le colon. Diégane s'abandonne aussi dans les bras d'Aïda, rencontre la journaliste Brigitte Bollème. Il rêve d'être écrivain, mais ce livre d'un autre l'obsède.
Ce livre est la pierre angulaire, le graal du protagoniste et le trait d'union entre la brillante lignée d'Elimane et Diégane et ses ami-e-s, des hommes et des femmes qui écrivent, des âmes sœurs qui se trouvent et se manquent. Un prétexte pour faire lire des publics mais surtout pour faire se rencontrer des gens et faire perdurer des légendes, des trajectoires, des lumières venues de la nuit des temps et rapportées par les narrateurs, prenant la voix souvent de la narratrice Marème Siga. Le livre Le labyrinthe de l'inhumain subsiste difficilement alors qu'il est beaucoup question dans ce roman de l'importance de la transmission orale, c'est là qu'on trouve toutes les clés, tous les voyages, toutes les histoires et les héritages. Un livre qu'on ne lit pas, des histoires que l'on entend, tant de mots qui vibrent, une autre vraie littérature.
Extrait :
"Le passé a du temps ; il attend toujours avec patience au carrefour de l'avenir ; et c'est là qu'il ouvre à l'homme qui pensait s'en être évadé sa vraie prison à cinq cellules : l'immortalité des disparus, la permanence de l'oublié, le destin d'être coupable, la compagnie de la solitude, la malédiction salutaire de l'amour. Madag l'a compris après toutes ces années de fuite. Il a compris que Le Labyrinthe de l'inhumain non seulement ne mettait pas fin au passé, mais qu'il l'y ramenait encore. Il est donc revenu ici."
Je n'ai pas été perdue par les nombreux protagonistes grâce à mes petites notes généalogique. J'ai compris ces vertiges, j'ai saisi les profondeurs du passé qui sourdent par les différents narrateurs que rencontre Diégane.
Indéniablement, l'auteur chérit la langue et nous offre le bonheur d'en profiter. Virtuose des mots il nous conte des histoires qui le hantent, il façonne des personnages qui sont à la recherche d'autres, il écrit des mots qui restent secrets à toutes les mémoires. Le roman commence par le parcours d'un écrivain en quête de révélation, puis par cette recherche vertigineuse et se poursuit presque avec des accents sombres comme courant après un sorcier assassin. De Paris à Dakar, du Sine Saloum en Argentine, les traversées enjambent les pays comme les époques, passant par les drames des deux guerres mondiales.
Incompréhensible qu'un tel livre déchaînât tant de passions haineuses, lui qui célèbre avec beaucoup de pudeur des soifs intimes et le tragique des filiations et la nécessité de rompre avec le néocolonialisme. ______[Merci Nicole ;-)]