Mon frère Icare - Ma soeur Ophélie, d'Huguette Junod

Publié le 26 février 2022 par Francisrichard @francisrichard

Il y a trente ans, dans Asters et Zébrures, Huguette Junod avait déjà parlé des morts de son frère Jean-Jacques et de sa soeur Michèle, survenues respectivement vingt et dix ans plus tôt.

Ces deux textes en prose poétique introduisent les deux longs chants qu'elle consacre aujourd'hui à chacun d'entre eux, précédés l'un d'une épigraphe baudelairienne et l'autre rimbaldienne.

Denise Mützenberg, dans son introduction, dit que, sans doute, pour surmonter ces deux pertes, qui se sont produites dans des circonstances brutales, pour leur survivre, l'auteure a choisi d'écrire:

Par nécessité, urgence de retenir, de dire, de crier, de mettre des mots sur l'indicible.

Jean-Jacques, Icare, est mort accidentellement, à dix-sept ans. Il se rendait à l'école en vélomoteur. Il a brûlé un feu rouge. Il a fait un vol plané au-dessus de son guidon et s'est sectionné l'aorte:

La mort l'a fauché

Il ne jouera plus

Il ne parlera plus

Atroce négation

d'une jeunesse fauchée

Le rideau est tombé

Michèle, Ophélie, s'est jetée du pont Butin dans le Rhône et s'est noyée comme la soeur de Laërte dans Hamlet et n'a été retrouvée qu'un peu plus d'un an plus tard lors de la vidange de Verbois:

Je suis partie à ta recherche

J'ai poussé les portes

de maisons inondées

ouvert les fenêtres des refuges

remonté les chemins

[...]

Je ne t'ai pas trouvée

La poète souffre toujours qu'ils ne soient plus là:

Ta lancinante absence me pèse

Savais-je que tu occupais tant d'espace

et de temps?

Mon frère Icare

Tu me manques

Présence perdue

Le vide

Cette poix qui vous englue

Ma soeur Ophélie

Pourtant les liens n'étaient pas les mêmes:

J'ai pétri la terre

pour façonner ton visage

à ma ressemblance

Mon frère Icare

Je t'avais souhaitée

à ma ressemblance

Je me suis abîmée dans nos différences

Ma soeur Ophélie

La fin de chaque chant est différente:

Je me suis mise à écrire

mais quelqu'un derrière moi

effaçait mes mots

pour qu'il n'en reste rien

[...]

Alors je me suis enfuie

mais quelqu'un derrière

effaça ma peur

pour qu'il n'en reste rien

Mon frère Icare

Dis-moi, depuis ce temps, où as-tu disparu?

Quels fleuves, quels chemins avons-nous parcourus?

Pourrons-nous aborder sur un autre rivage?

Les éclairs ont brûlé, les tonnerres vomi,

Les pluies ont lessivé toute contrée sauvage.

Nous voici dénudées sur le sol endormi.

Ma soeur Ophélie

Le recueil se termine par un texte qui met en scène, dans une mythique église blanche de Grèce, une dame, à la ressemblance d'Huguette Junod, et qui allume deux cierges couleur de miel:

L'un pour son frère, l'autre pour sa soeur, afin que la flamme ravive leur souvenir, brûle dans la solitude, leur redonne vie, le temps d'une mèche, embrase son coeur qui se souvient d'eux, les porte sur le chemin parcouru jusqu'à cette église-là, sur la place ombragée...

Francis Richard

Mon frère Icare - Ma soeur Ophélie, Huguette Junod, 120 pages, Éditions Encre Fraîche (illustré par Sylvie Monnier)