Les barbares
Tu as fui ton pays mon frère, ta ville, ta maison bombardés.
Tremblant, les deux bras en avant.
L’humanité de l’Ouest t’assouvit, dépasse tes espérances les plus folles.
Et tu pleures d’émotion mon frère.
Les murs, les barbelés, les frises,
Les treillis, les armes ont par magie disparu.
L’Ouest te chérit
Pleure de compassion,
S’agenouille devant ton malheur.
Tu as les yeux bleus mon frère
Tu as le nez aquilin mon frère
Ton visage carotte
Porte le charme de ta race mon frère.
Tu es slave mon frère.
Ton regard n’est pas charbonneux
Tes enfants ne sont pas morveux,
Ne pataugent pas dans la fange.
Sur sa tête ta compagne ne porte pas de fichu
Mais une sainte couronne d’épis.
Et si elle en porte, il est diaphane.
Tes génuflexions sont belles mon frère,
Tu ne lèves pas les mains
Et si tu t’inclines c’est vers l’Occident.
Je m’interroge mon frère,
Car tu ne le sais peut-être pas,
Cette même humanité qui t’offre
Son merveilleux, fabuleux, prodigieux accueil
Est celle-là même qui crie, hurle, vocifère ne pouvoir
Accueillir toute la misère du monde,
Du monde pillé de tout temps par l’Ouest.
Je m’interroge mon frère
Sur cette humanité qui t’enlace
Et pleure de miséricorde,
Qui t’ouvre ses portes
Et qui simultanément chasse les autres afflictions
Parce qu’elles sont hâlées, noires, brûlées.
Comme les comptables mon frère et les hommes de bon sens
Je m’interroge sur ces deux mesures pour un même poids
Un même fardeau.
Un même désespoir.
Je m’interroge mon frère,
Quelle est cette humanité qui t’ouvre ses portes
Qui privilégie ta souffrance,
Ignore celle des gueux
Ces barbares fuyant leur étrange monde,
Pourtant par l’Ouest bombardé, détruit, anéanti
Par l’Ouest, cette contrée des Droits de l’Homme,
De certains hommes.
Mais quelle supercherie envers le reste de l’Humanité !
Je m’interroge mon frère,
Quelle est cette humanité qui
Se plie en quatre pour t’accueillir
Et dresse toutes ses rancunes, contre le blond d’Égypte
Cet Autre venu des Suds, mon miroir.
Et je n’ai trouvé hélas
Qu’une réponse mon frère et la voici.
Ta souffrance est blanche mon frère.
Ta langue slave et suave
N’est pas crainte, au pire inconnue.
Tu n’es pas miséreux
Et dans ton regard mon frère
On ne décèle nul effroi de la faim.
Tu as droit aux petits fours,
Tu as droit aux larges sourires,
Tu as droit à un fleuve de générosité
Tu as droit à Noël chaque soir.
Tu n’es pas Syrien mon frère
Tu n’es pas Libyen mon frère
Tu n’es pas Maghrébin mon frère
Tu n’es pas Africain mon frère.
Tu n’es pas musulman mon frère.
Tu n’es pas confronté aux barbelés, aux murs, aux requins.
Tes enfants ne s’appellent pas Aylan mon frère.
Tu ne viens pas de la mauvaise rive mon frère.
Tu ne viens pas de la mauvaise rive mon frère.
Tu ne viens pas de la mauvaise rive mon frère.
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Ahmed Hanifi
Poème spontané devant la télé, hier soir samedi 26 février 2022
(à retravailler donc)
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