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Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 5 - Le Chippendale) - Fragment 19-20-21

Par Blackout @blackoutedition

Pour les livres de Richard Palachak, c'est par ici : KALACHE, VODKA MAFIA, TOKAREV, L'ESPRIT SLAVE

Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 5 - Le Chippendale) - Fragment 19-20-21

Photo de Simon Woolf

Saison 5 : Le Chippendale

Fragment 19

Je me souviendrai toute ma vie de mon premier combat de boxe officiel. Y'avait dans les trois cents visiteurs au gala, les tribunes étaient bondées, ça commandait de l'hémoglobine à s'en faire péter la jugulaire. Avec mes quatre-vingt-dix kilos à la pesée, plus affûté que jamais, j'étais fléché dans la catégorie « lourd ». Sauf que quatre-vingt-dix kilos dans la catégorie « lourd », ça fait pas vraiment « lourd ». Je pouvais me farcir un géant de deux mètres et de cent vingt bardas, car chez les amateurs la division « super-lourd » n'existe pas.
Du coup, je flippais ma race à m'en coller la gerbe. Et dans ces conditions mal barrées, je n'avais qu'une seule obsession : ne pas me viander comme une merde en montant sur le ring... et vu que mes jambons ne me tenaient plus... je redoutais par-dessus tout cette couillonnade absolue : me foutre au tapis en passant les cordes.
L'arène est un lieu de vérité, où l'on joue son honneur et mise ses entrailles sur un pari couillu : l'embrasement de la société. On enfile les gants pour décrocher la timbale, c'est du tout ou rien. On n'y va pas pour « participer » : l'essentiel, c'est de « gagner ». Dans un pugilat d'homme à homme à la merci du pouce renversé plébéien, on n'est pas là pour faire de son mieux. Quelle que soit l'issue du combat, on passe les cordes avec la certitude d'écraser son adversaire et de passer la ceinture autour de ses reins. C'est du tout ou rien. Mais encore faut-il passer les cordes...
Alors je me souviendrai toute ma vie de mon premier combat de boxe officiel. Je me souviendrai toute ma vie avoir franchi le deuxième câble à moitié dans le sirop, mais que je l'ai néanmoins passé, que j'ai cherché mon coin tel un poisson pané, mais que je l'ai néanmoins trouvé, que j'ai pris le plomb fondu des « ring-lights » dans les yeux, mais que je ne les ai pas fermés. Je me souviendrai toute ma vie que la cloche a sonné, que l'instinct de guerre a pris le pas sur la lâcheté, que la clameur de la foule et les baffes de mes coachs m'ont sorti d'un rêve éveillé. J'ai vu l'autre mec à terre et la réalité m'a refroidi : je ne me rappelais plus de rien, mais j'avais gagné.

Fragment 20

Je me souviendrai toute ma vie de ce combat de boxe... et pourtant c'est que dalle à côté de mon premier show de chippendale.
Être exhibé comme un bout de viande sur un étal de boucher, surtout quand la vitrine fait miroiter du label rouge au blason prestige, ça fait prendre conscience d'une vérité « pur porc » difficile à avaler : il faut des couilles pour être un boxeur, mais il en faut de bien plus grosses pour être une femme.
On vit dans une société qui placarde à tous les coins de rue le desirata de femelles n'ayant jamais vêlé, leur abattage entre vingt-quatre et trente-six mois, puis tout un tas de critères de qualité fondés sur des conformations bestiales... comme la classification des cuisses ou la couverture de gras. Voilà ce qu'implique être une nana. Voilà ce qui se passe une fois plongé dans le système d'identification qui l'écrase au quotidien. Voilà quelle bonne étoile m'alloue l'appellation si prestigieuse et distinguée de « salope », comme un marquage accusant de mon excellence génétique.
Pas fiérot, je comprends qu'il faut débrancher les boyaux de ma tête et tirer les leçons de mon premier combat de chiens : « On enfile le string comme on enfile les gants : c'est du tout ou rien. » Faut débrancher le saladier... me répéter que j'ai un corps de compétition, la panoplie YMCA, et la choré dans le sang... oui, faut débrancher mon cerveau... pour quelques instants... faire le job et le rebrancher quand ce sera fini.
Black-out... et quelques visions stroboscopiques... un tonfa qui lèche une paire de cuisses... une main tremblante qui passe en dessous de ma chemise... et le mélange de sueurs imbibées de lubrifiant bio... jusqu'à la lunaison finale.
Des cris d'hystérie sonnent le branle-bas d'un rêve éveillé. Je vois mon adversaire défaillir sur sa chaise et la réalité me refroidit : je ne me rappelle plus de rien, mais j'ai gagné...
J'ai gagné ma plaque agricole et le grand prix de la connerie.

Fragment 21

Grâce à mes Rayban et ma casquette, j'ai l'illusion qu'on ne pourra pas cramer mon identité sur les vidéos partagées. Sauf qu'en grillant une quadra en train de poster son live insta, j'y choume un glandu tatoué comme un mur de chiottes... avec d'inouïs gribouillis reconnaissables entre mille... un damier et des parements grossiers plein les ailerons... sans compter le lettrage himalayen qui lui recouvre l'échine.
Excusez-moi, que je lance à la nénette en pleine convulsion des pouces, on est dans un espace privé.
Et alors ?
J'aimerais que mon droit à l'image soit respecté.
J'partage avec des amies...
Je ne vois pas le rapport.
En matière de droit, ça reste privé. Puis tu pourrais me remercier : si mes deux mille copines partagent avec leurs deux mille copines et ainsi de suite, ça va te faire une sacrée publicité !
Mais je ne veux pas de publicité !
T'as tes règles ou quoi ? J'ai déjà sept-cents likes et ça commente un max. Y a même des copines qui te veulent déjà pour leur anniv' !
J'aimerais que vous effaciez cette publication... Je demande un minimum de réserve à tous les invités. C'est pas contre vous, mais j'ai un travail honnête et une famille.
Eh ben moi j'veux que tu passes la nuit chez moi et que tu sois ma neuchié...
Pardon ?
C'est à toi de voir, « papa mal baisé... »
Ou sinon quoi ?
Ou sinon, la garce que je suis va faire tourner la vidéo sur Pornhub jusqu'à la fin de ta vie.

Richard Palachak

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