Critique de Dom Juan, de Molière, vu le 9 février 2022 au Vieux-Colombier
Avec Alexandre Pavloff, Stéphane Varupenne, Jennifer Decker, Laurent Lafitte, Adrien Simion, mis en scène par Emmanuel Daumas
Cela fait plusieurs fois que je retrouve le travail d’Emmanuel Daumas à la Comédie-Française. D’abord avec son Candide puis plus récemment avec son Heureux stratagème, tous deux bons souvenirs de théâtre. De quoi me mettre en confiance pour ce Dom Juan qui s’installe au Vieux-Colombier dans le cadre de la saison Molière fêtant les 400 ans du Patron. Une confiance toute relative puisque ce Dom Juan pour seulement cinq artistes m’inquiète un peu, surtout après le Tartuffe pétri de contresens de Van Hove : aurait-il donné le ton de cette saison ? Rien ne serait donc épargné à celui qui est pourtant célébré en sa Maison ? Difficile à dire.
Lorsque je résume Dom Juan, d’habitude, je parle de cet homme qui se joue du Ciel et des femmes, comme de tous ceux qui l’entourent. J’évoque ses méfaits, sa noirceur, son absence totale de scrupule. Il ne me semble pas juste de résumer ainsi la pièce aujourd’hui, car tel ne semble pas être le parti que prend Emmanuel Daumas. Il s’agit plutôt d’un homme léger, qui certes multiplie les conquêtes mais de manière presque naïve, prenant les femmes comme elles viennent, sans chercher beaucoup plus loin.
C’est étrange, mais on ne prête pas à ce Don Juan de mauvaises intentions. On ne va pas jusqu’à tout lui pardonner, mais enfin il semble faire du mal presque malgré lui. Il s’amuse, semble se lasser vite, et c’est ainsi que, blasé, il passe à la conquête suivante. Le Ciel, dont il se joue ordinairement, devient ici presque secondaire. Il ne le défie pas, ce n’est simplement pas un sujet pour lui. Bref, c’est un Don Juan un peu superficiel et c’est assez déroutant dans un premier temps – déroutant, mais pas inintéressant, surtout grâce au talent de Laurent Lafitte qui fait exister ce Don Juan aux contours pâles. Charmeur mais pas gouailleur, beau dans sa sobriété, fin sans non plus être brillant, il parvient à joliment mettre en valeur ce « Don Juan normal » qu’il compose. Etonnamment, le duo qu’il compose avec son Sganarelle, interprété par un Stéphane Varupenne de haut niveau, évoque deux clowns complices alors qu’on les connaît d’ordinaire antithétiques. C’est surprenant dans un premier temps, mais il faut bien reconnaître que la paire fonctionne vraiment bien.
Ce qui est peut-être plus décontenançant encore, c’est ce qui entoure notre duo maître et valet. Aussi inattendus soient nos deux clowns, ils parviennent à nous saisir et à donner vie à leurs personnages ; c’est moins le cas de ceux qui gravitent autour d’eux. C’est comme si le metteur en scène s’était désintéressé de ce qui n’était pas le duo principal. Il ne semble pas avoir de vision sur ces autres personnages, passe à côté de quelques scènes géniales comme celle des paysans, use d’artifices théâtraux comme pour détourner l’attention du texte.
Il multiplie et mélange les styles, n’hésitant pas à utiliser le travestissement, faisant parfois appel au cartoon, ou tirant le trait jusqu’à évoquer la farce, pour un rendu final assez flou. Alexandre Pavloff, Jennifer Decker, et Adrien Simion, dont le talent n’est pas en cause, deviennent des pantins au service d’une histoire dont l’enjeu nous échappe. C’est dommage, parce certaines idées prises individuellement fonctionnaient bien, comme cette première scène très explicite de la relation Don Juan-Elvire, ou encore ce ring autour duquel tournent les personnages qui donne vraiment une impression de voyage et d’avancée dans l’histoire. C’était simple et efficace, mais ça manque de s’inscrire dans une vision globale de la pièce.
Don Juan perd de sa superbe dans cette version édulcorée.