Antoine Glaser a été le fondateur et rédacteur-en-chef durant 26 ans de La Lettre du Continent (bimensuelle consacrée à l'Afrique) et directeur de la revue Africa Intelligence. Auteur de "Le Piège africain de Macron" (Fayard, 2021), il analyse la fin de l'opération militaire Barkhane sur le plateau de Patrick Simonin / TV5 Monde. Extraits.
" Les militaires disent en off qu'ils se sont laissés embarquer dans une sorte d'euphorie et qu'ils n'auraient jamais du faire [l'opération] Barkhane après [l'opération] Serval [...] Maintenir une telle présence, avec une armée conventionnelle à l'ancienne très lourde, avec des problèmes de logistique et surtout avec ces convois de drapeaux français, cela ne correspondait plus du tout à la période dans laquelle nous sommes... avec un retour de l'impensé pour les jeunes Africains qui ont l'impression de vivre la période de la guerre froide, de la Françafrique des années 80 [...] Le problème de fond n'est pas seulement la lutte anti-terroriste. Les djihadistes ont déjà en partie gagné et ont fait fuir tous les Occidentaux de la Mauritanie au Soudan. Les problèmes de fond sont des problèmes socioéconomiques, des problèmes de territoires. Lorsque nous parlons de Mali et de Burkina-Faso, nous parlons des capitales. Mais les espaces ruraux sont aux mains des djihadistes, des groupes armés et de trafics en tout genre. De fait, Barkhane s'est trouvée hors-sol par rapport aux réalités du terrain [...] En plus, il y a l'Algérie qui joue son propre jeu dans ce qu'elle considère comme sa profondeur stratégique, qui a des relations avec le Groupe de Soutien à l'Islam et aux Musulmans (GSIM) toujours à la frontière entre l'Algérie et le nord du Mali. Et puis, la junte malienne a commencé à négocier avec le GSIM au moment de la libération de Sophie Pétronin et des prêtres italiens. Pour Macron, c'était un vrai fil rouge. La France refusait que la junte malienne négocie avec le GSIM. "
"Ce n'est pas juste un échec, c'est un tournant historique. C'est une période qui se termine."" [...] La France n'a pas vu l'Afrique se mondialiser. Chinois et Russes travaillent de concert en Afrique. La Chine c'est l'influence économique et les infrastructures, la Russie c'est la sécurité et l'information. La France a perdu ses parts de marché depuis longtemps [...] Aux Nations-Unies, Russes et Chinois votent contre toutes les résolutions françaises sur l'Afrique. Un jour ou l'autre, la Chine revendiquera le poste de la France aux opérations de maintien de la paix aux Nations-Unies. Parce qu'ils veulent absolument avoir ce poste et qu'ils sont le deuxième contributeur aux Nations-Unies. Ils disent :
"pourquoi c'est la France qui va encore décider de tout ce qui se passe dans la région a fortiori si Barkhane s'en va ?" [...] Les Russes et les Chinois ne veulent pas seulement des matières premières en Afrique mais aussi les voix des Africains aux Nations-Unies. Le Gabon pèse autant que le Nigéria. Ce sont des rapports de force, de pouvoir et de diplomatie d'influence au-delà des intérêts stratégiques, miniers ou autres [...] Actuellement, les Italiens mènent des négociations entre les Touareg et la junte malienne... à Rome ! Un peu dans le dos de la France. Nous ne sommes plus dans des jeux européens. Les partenaires européens sont d'accord sur l'Ukraine mais en Afrique c'est chacun pour soi [...] Quand vous êtes Emmanuel Macron, vous ne pouvez pas jouer sur tous les tableaux. Vous avez besoin des autocrates tels qu'ils sont. Quand le président [tchadien] Idriss Deby meurt, l'armée française le pousse à quasiment adouber une dynastie au Tchad. Après vous traitez la junte malienne d'illégitime. Les Africains ne comprennent plus : qui est légitime ? Qui est illégitime ? C'est à géométrie variable, quand ça vous arrange... "
Antoine Glaser : "L'échec cuisant d'Emmanuel Macron en Afrique" (TV5)