Selma Guettaf : Les hommes et toi

Par Gangoueus @lareus


En novembre 2018, je suis rentré d’Alger avec plusieurs romans édités en Algérie. Je n’ai pas lu la plupart d’entre eux. Mais, je me rattrape en commençant par un roman de Selma Guettaf publié aux éditions Apic à Alger, réédité en Belgique chez Möst.


Je dois dire que ce texte de l’écrivaine algérienne m’a quelque peu dérouté. Par les sujets qu’il aborde. Par le style froid qui sous tend le propos de Selma Guettaf. Une jeune femme erre dans les rues de Paris. Nihed. Elle est en mode «  destroy » . Sans port d’attache, sans domicile, elle dérive, se prête ou se donne au premier venu, pour la possibilité d’une nuit ou juste d’une rencontre nocturne. Elle arrive au bord d’un précipice et doit faire un choix : se laisser mourir ou retrouver Rayane.
«  Deux  solutions s’imposaient : ou bien presser  le bouton  de la sonnette et continuer ainsi  sa vie entre les successions d’hébergements, la recherche de petits boulots et les soirées alcoolisées, ou bien quitter Paris et tenter de se racheter à ses propres yeux. Tout oublier. Ne plus penser aux nuit mois passés. Ne plus songer à rien. Partir. Retour au pays natal » (p.12)

Retour au pays natal

Ce sujet devrait rassurer beaucoup. Je le dis avec une certaine ironie. Vous me pardonnerez. Si Nihed errait dans la nuit parisienne, ses premiers pas liés à son retour en Algérie la ramène à des questions plus basiques d’enfermement. La famille, le mariage, les bonnes moeurs… Passer d’un extrême à un autre. Surtout quand on est une femme. Je ne rajouterai pas le qualificatif « libre »  car dans les deux scénarii, il est difficile de parler de libération. Mais Nihed ne se laisse pas dicter son cheminement… Les références qu’elle a au sujet des normes sociales célébrées sont désastreuses. Elle va les questionner en explorant l’intime de sa famille, ses parents, leur couple, son frère : Rayane. Le retour au pays natal devient une exploration de ce qu’elle rejette et l'explication d'une violence retournée contre soi.

Cellule familiale / Sphère professionnelle

Il y a plusieurs voix dans ce roman. Je continue sur celle de Nihed. Elle trouve un job. Elle réinvestit à sa manière l’appartement laissé par ses parents. Revisite le deuil de sa mère, morte dans des conditions complexes. La dépression. La douleur. La solitude. L’abandon. La colère. La haine. Le père défaillant. Marié pour répondre aux normes sociales, enfermés pieds et poings liés, avant de se défaire du code. Cet aspect du texte s’inscrit dans l’air du temps où déconstruire l’institution du mariage est un sport mondial. Pourtant l’expérience de Nihed est indiscutable. Même si son frère n’a pas la même lecture des événements. Du moins, on pourrait le croire. Cette interprétation est un élément de rupture entre le frère et la soeur. La violence s’exprime aussi dans le milieu professionnel que Nihed affronte en tant que journaliste et femme. Des parvenus font la pluie et le beau temps, écrasent celles et ceux qui connaissent le job. Pourtant, il n’est pas question de céder. Du moins pour Nihed. Elle me fait penser à des personnes que j’ai connues. Elle est réelle.

Rayane

Le motif du retour de Nihed, c’est Rayane, son frère. La voix de ce frère va s’exprimer. Que ce soit cette dernière ou celle de Nihed, le lecteur risque d’être surpris par le caractère cru de certaines scènes, de la violence constante qui jalonne les pages de ce roman. Je ne peux m’empêcher de constater que cette brutalité est récurrente dans les ouvrages de fiction maghrébine que j'ai lus jusqu'à présent. Je pense au marocain Choukri, aux algériens Boudjedra ou Belaskri, à Salim Bachi dans un contexte différent. Je ne parlerai pas du poète Ali Chibani. C’est un univers sombre dont certains veulent s’extraire. Mais l’amour pour un frère peut aussi nous y ramener. Amour incestueux ? Un dernier mot pour dire que je préfère la version algérienne de ce livre.

Selma Guettaf, Les hommes et toi

Editions Apic (Alger, 2016), Editions Most (Belgique, 2021)