Les jeunes amants est son troisième long métrage. Il a enthousiasmé des amis et j’y suis allée le coeur prêt à me laisser convaincre. Mes premières impressions furent mitigées et puis j’ai évolué au fil des jours. C’est que le message n’est pas si direct qu’on peut le supposer. Au final il est parfait pour lancer une soirée de Saint-Valentin.
Je commencerai par ce que j’ai le plus apprécié. La justesse de ton des comédiens pour rendre tout à fait plausible un amour inattendu entre Shauna (Fanny Ardant), une femme âgée de 70 ans, libre et indépendante, architecte à la retraite, mais qui avait mis de coté sa vie amoureuse, et Pierre (Melvil Poupaud), un père de famille de 45 ans, médecin hospitalier, que Jeanne, la femme de ce dernier (Cécile de France), suppose peu dangereux de prime abord.
Fanny Ardant y assume son âge avec sensibilité mais le film est loin d’être centré sur cette question. En fait il démontre que la qualité d’une relation (amoureuse, amicale, filiale) n’est pas dépendance de ce facteur. Les conversations entre les filles et leurs mères sont très belles.
Envisager de vivre une histoire d’amour quand on s’est installé dans la solitude ou quand on a une vie de couple satisfaisante demande du courage. Surtout si comme Shauna on manque de confiance en soi, ce qui concerne aussi des personnes indépendantes et fortes.Ce qui par contre m’a gênée, c’est le prologue dont je n’ai vu l’intérêt que plus tard. Il n’est pas évident de comprendre que Georges (Sharif Andoura ) est au chevet de sa mère, non pas en tant que médecin (il est dans la vie un collègue de Pierre, qui est aussi son ami) mais en tant que fils de cette femme qui se trouve être la meilleure amie de Shauna. Cette relation m’avait échappée et je n’avais pas saisi non plus pourquoi les deux hommes allaient ensuite rendre visite à Shauna, de surcroît en Irlande alors qu’elle vit à Paris.L’appartement de Shauna déborde de photos, d’objets accumulés qui témoignent d’une vie très remplie. Pierre et sa famille sont quant à eux perchés dans une tour, comme inconsciemment emprisonnés. Mais le temps leur est compté et les horloges sont partout dans les décors. J’ai vu aussi plusieurs représentations métaphoriques des larmes, à la piscine, dans la buée d’un hammam et dans des trombes d’eau de pluie.Shauna est libre et indépendante. Elle n’est aucunement bravache ou tête en l’air. Si elle a mis sa vie amoureuse entre parenthèses c’est sans doute parce qu’elle fut peu et/ou mal aimée. Sa beauté et sa solidité masquent un manque de confiance en elle, Elle croit peu à l’amour, et venant dun homme plus jeune, les sentiments la désarçonnent complètement. Et surtout elle ne veut pas entraîner Pierre dans une relation sans avenir. Shauna est au fond une vraie romantique prête à sacrifier son amour par amour.
Je n’aurais pas plébiscité un excès d’optimisme qui prétendrait que l’amour triomphe de tous les obstacles mais j’ai ressenti une forme de noirceur (même si la réalisatrice s’en défend) avec une grande mélancolie entretenue par les musiques. On entend l’une des Variations Goldberg de Bach, un Nocturne de Chopin, la musique provenant d’un piano en libre-service à la Gare de Lyon, Le premier bonheur du jour, de Françoise Hardy, et Lady of a certain age de The Divine Comedy.
Ensuite par les hommages plus ou moins appuyés à d’autres films comme ceux de Bergman, La Fille de Ryan de David Lean, qui a été tourné en Irlande. Bleu de Kieslowski, où l’amour et la mort sont intimement liés Trop belle pour toi de Bertrand Blier où là aussi le couple est atypique, Sur la route de Madison de Clint Eastwood pour cette séquence où les deux amants n’échangent que des regards sous une plue torrentielle. Et surtout, Un homme qui me plait de Claude Lelouch, dont un extrait montrant Annie Girardot guettant la d’avion de Jean-Paul Belmondo induit une fin malheureuse … pour qui connait ce long métrage.
Enfin évidemment par un scénario qui ne fait pas l’impasse sur la vieillesse, ses conséquences, la déchéance et la mort qui rode. Néanmoins il y a beaucoup de pudeur et on peut se laisser emporter par cette histoire, et pour cause puisque, à quelques détails près, elle est vraie. C’est celle inspiré par la mère de la cinéaste Solveig Anspach, à qui le film est dédié, Högna Sigurðardóttir, première architecte islandaise qui, à l’âge de 79 ans, a vécu une relation amoureuse et charnelle avec un médecin de vingt-cinq ans son cadet, marié et père de famille.
Carine Tardieu connaissait Sólveig avec qui elle avait sympathisé deux ans avant sa mort au festival de Rome. Elle la retrouva fugitivement quand celle-ci avait commencé l’écriture avec sa coscénariste Agnès De Sacy à qui elle exprima, un an après le décès de Solveig le désir de travailler ensemble. Ce fut presque naturellement qu’elles se sont mises à ce projet resté en jachère, auquel Solveig tenait beaucoup et en bénéficiant de la confiance de sa fille Clara.
Evidemment le résultat aurait été mièvre si les scénaristes s’étaient laissé emporter par un excès d’optimisme qui aurait permis de croire que l’amour triomphe de tous les obstacles et peut s’affranchir des résistances de la société. Précisément, le scénario ne négocie pas avec les embûches, nombreuses et lourdes, qui séparent les amants, ni avec le malheur que sème leur passion.Autrefois, les conventions concernaient les différences de milieux sociaux, puis les différences de religions... Et l’âge est le dernier préjugé. Bien que n’étant pas commune, une femme âgée amoureuse d’un homme plus jeune n’est pas une idée totalement révolutionnaire. Fanny Ardant interprétait déjà ce type de situation dans Les beaux jours de Marion Vernoux. Ce qui l’est davantage, c’est le traitement du sujet. D’abord parce que ce n’est pas véritablement un coup de foudre mais une sorte de fatalité puisqu’ils s’étaient rencontrés (et appréciés, mais sans rien de plus) quinze ans plus tôt (d’où l’intérêt du fameux prologue). Leur histoire se construit donc comme une évidence malgré toutes les embuches et les conséquences, la maladie pour elle et le risque de pulvériser le bonheur familial pour lui. Chacun est «heureux» dans sa vie alors les sentiments les emportent dans un tourbillon, et c’est cela qui est original. Ni l’un ni l’autre n’a besoin d’une épaule pour le consoler de quelque chose. Au contraire, céder à cette passion ne pourra qu’apporter du chamboulement.L’entourage réagit diversement. Sharif Andoura, Cécile de France et Florence Loiret-Caille interprètent des seconds rôles puissants. Le meilleur ami, dépressif, qui collectionne les aventures éphémères avec des femmes plus jeunes, s’oppose violemment. L’épouse ne voit pas le danger de prime abord parce qu’elle ne doute pas de son couple, de leur amour renforcé par un drame récent qui les a tout à la fois ébranlés et soudés à jamais... et surtout parce que a priori l’âge de Shauna la fait bien rire. Très vite elle comprendra qu’elle n’est pas de taille à lutter.
La fille Cécilia (Florence Loiret-Caille, qui était l’une des actrices fétiches de Sólveig) est entièrement vouée à son travail et qu’elle le veuille ou non, souffre de voir sa mère amoureuse alors qu’elle-même ne l’est pas, au moment même où sa propre fille quitte le cocon familial. Elle sait pourtant se montrer encourageante, notamment au cours d’une très jolie scène quand elle comprend que sa mère a rencontré quelqu’un, quand l’attente amoureuse engendre autant d’espoir que d’inquiétude.
Malgré mes réserves, Les jeunes amants est un plaidoyer humaniste en faveur de l’amour fou, qui s’émancipe des injonctions de la société et du regard des autres. On ne rira plus d’une différence d’âge et s’il ne fallait retenir qu’une réplique ce serait celle de Pierre : Quel que soit le temps qui nous reste, il faut profiter de cet air qu’on respire encore ensemble... signifiant que tout amour mériterait d’être vécu.Les jeunes amants, un film de Carine TardieuAvec Fanny Ardant, Melvil Poupaud, Cécile de France, Florence Loiret Caille (Cécilia), Sharif Andoura …