Pour les livres de Richard Palachak, c'est par ici : KALACHE, VODKA MAFIA, TOKAREV, L'ESPRIT SLAVE
Photo de Simon Woolf
Saison 5 : Le Chippendale
Fragment 16
Il ne me reste plus qu'à suivre le plan de Bernard et le biper comme prévu. Sauf qu'un crétin vêtu d'un déguisement de mascotte arpille en direction des shtars en civil. Un ours brun de parc d'attractions murgé comme trente-six cochons, qui slalome entre des plots chimériques... Il rejoint mes limiers de la Nationale et c'est la poilade générale. Je me demande alors ce qui peut bien faire marrer ces trois couillons.
Bernard aboule, accoutré d'une chemise hawaïenne et questionne d'un ton sarcastique la raison de mon « escorte présidentielle ». Mon sang ne fait qu'un tour et je retrace les bananes imprévues qui m'ont saigné de 180 biffetons. Tel un crapaud constipé, le gros me lâche qu'il est toujours temps de faire marche arrière.
À la vue de nos esprits qui s'échauffent, un des condés lance un appel sur son polisphone. Une rixe entre libertins devant les lieux d'une partouze lockdown est susceptible d'éclater. Si des dizaines de salingues se mettent sur la gueule à moitié dauffés les uns dans les autres, il faudra plusieurs équipes d'intervention pour rétablir l'ordre public...
On vire à l'intérieur du garage et j'investis l'atelier de bricolage de la maison. Des fracadéchirés défilent me demander si j'ai besoin de rien, débouclant toutes les trente secondes un accès qui donne sur un autre monde : la salle du show. Ç'a même pas commencé que je sens déjà la pression des regards troublés sur mon corps à moitié nu. Y a ceux des curieux bourrés, ceux des flics affligés, ceux de Bernard estomaqué... Je sais bien que la contrainte sexuelle fait partie du contrat, comme chez les stars du porno... mais là, c'en est trop... À peine le temps d'enfiler mon string vinyle et de me lustrer la peau... qu'il est déjà temps de me foutre à l'eau.
Fragment 17
Un face à face de western spaghetti... juste avant que les Colt 45 allument à tout va... le bras de fer inerte et suspendu par le temps de regards enfiévrés... dans un décor de ranch abandonné à l'harmonica d'Ennio Morricone.... et vu le nombre de chariots qui m'entourent, environ cent cow-boys dans le saloon.
Vêtu de mon uniforme de marshall stripteaseur, je toise le repaire où se clapit la Calamity Jane à cartonner. Le shérif et son adjoint pain de sucre m'épient appuyés sur leurs 6 chevaux, brûlant de dégainer à la seconde où j'enfreindrai la législation. Ces vautours ont déjà leur caméra-piéton braquée sur moi. Mais c'est nib à côté de tous les smartphones à la ceinture des gaucho muchés dans le saloon, dont les barillets préchargés de lives Insta vont fumer dès mon entrée. C'te question... tous les mercenaires 2.0 briguent un bout de string éraillé pour obtenir leur rançon de likes.
Et c'est à ce moment précis que je me pose cette drôle de question : « qu'est-ce que je fous là ? » Toutes les étoiles de mes réussites existentielles vont basculer dans un processus irréversible de trépas tapageur. Et aucune sacristie ne me sauvera.
Je le sais... je sais qu'à cet instant précis, je sais... je sais que tout est foutu... je sais qu'en deux heures de corps à corps en string et vaseliné, l'armée de mon honorabilité sera massacrée... je le sais... et je sais qu'à cet instant précis je sais...
Piano... je m'avance adagio vers ma fin... bercé par la musique d'une montre dorée... qui pend au rétroviseur d'une 208 banalisée... sous la forme d'un petit sapin.
Fragment 18
Quand je sonne à la porte, on coupe illico la musique et singe l'affolement : « C'est la police ! Arrêtez vos conneries, ça craint ! » Naturellement, tout le monde est au courant de la mascarade... tout le monde à part la proprio qui fait son jubilé. Y en a même qui croient que j'ai ramené des amis déguisés : « C'est quoi ce bordel ? Y a deux gars de la BAC en train de filmer depuis la rue ! »
J'bats du tambour avec les quenottes en me répétant qu'il va falloir ronfler à cri pour sauver les meubles. Et quand la porte s'ouvre sur une foule de tronches et de portables levés dans l'obscurité, je pantelle comme une maison de papier face à l'ouragan. Nimbé d'une casquette californienne et de fausses Ray-ban insensées, je suis conscient de ma touche à la Poncherello et bafouille étourdi : « La fête est finie, bande de racacailles ! Où kéké la responsable de cette rave-papartitie sauvage ? »
Une haie d'honneur se forme et me dirige vers le fond de la salle, où se tapit la blonde à réjouir. Celle-ci tourne en gélatine dans son bocal, assurément pourrie de vilenie... tandis que je tourne en gélatine dans mon bocal, assurément pourri de vilenie aussi... C'est la première fois que nos regards se croisent et nos destins se retrouvent au bord d'un même précipice : celui de l'infamie publique. À ce détail près que je serai le seul à en mesurer le sol.
Y a plus le choix de toute façon. Résigné, je fais défaillir la fille sur sa chaise... en l'aiguillonnant de mon tonfa... puis je me déhanche telle une diva... et la musique de YMCA retentit.
Richard Palachak
© Black-out