C'est encore un spectacle que je n'avais pas vu en Avignon, en 2019 mais qui continue son chemin. Pour le moment, et pendant les vacances scolaires, il est programmé en après-midi à 15 heures à L'Espace Paris Plaine qui est un théâtre parisien situé 13 rue du Général-Guillaumat dans un ensemble culturel et sportif entre la Porte Brancion et la Porte de la Plaine au bord du périphérique dans le 15ᵉ arrondissement de Paris.
Heureusement qu'il existe des metteurs en scène amoureux des classiques et qui ont la compétence pour les rendre accessibles au jeune public, sans éloigner pour autant les adultes. Voilà un spectacle qui se déploie idéalement sur la largeur du plateau mais que je verrais tout autant dans un lieu encore plus grand.
Cette version est une très belle histoire qui fait alerter textes et chansons, chantées bien entendu en direct sur une musique qui est jouée par les comédiens. On se trouve donc à mi-chemin entre théâtre et comédie musicale, mais cela reste une tragédie bien entendu.
D'ailleurs le premier éclairage donne le "la", traçant une croix sur le sol pour symboliser une tombe et installer le suspense.
Cosette peut commencer à raconter son parcours : J’ai traversé beaucoup d’épreuves. Mon père s’appelait Jean Valjean. Il fut envoyé en prison pour avoir volé un pain. Aujourd’hui on le respecte mais il a été victime de détention arbitraire.
Ceux qui connaissent l'oeuvre originale retrouveront l'essentiel. La compréhension des autres (et des jeunes enfants) sera facilitée par des dialogues simplifiés (mais jamais simplistes) parfois parlés mais surtout chantés, et une construction didactique sans nuire à la poésie et presque au fantastique. On doit donc féliciter Charlotte Escamez pour son adaptation.
De superbes projections en noir et blanc facilitent l'imagination du spectateur en respectant l'esprit des multiples lieux où se déroule l'histoire. Les différents personnages sont interprétés par les comédiens qui se partagent les rôles et qui le font avec suffisamment de finesse pour qu'on ne les identifient pas sous leurs costumes. C'est parfait.
Les émotions sont variées. Et même si cela se finit plutôt bien (c'est de notoriété publique, je ne spolie rien du tout) il est important de réfléchir aux intentions de Victor Hugo d'attirer le regard sur la précarité et ses conséquences. Le contexte de misère extrême qui sévissait à cette époque, poussant une mère à aller jusqu'à vendre ses dents pour nourrir son enfant, n'est peut-être plus le nôtre mais la grande pauvreté est loin d'être éradiquée.
Le texte nous invite aussi à réfléchir sur la notion de famille, celle qu’on a et celle qu’on choisit de fonder, avec ses propres enfants ou d’autres. Là encore le sujet reste d'actualité et mériterait une discussion de bord de scène après la représentation. Car le XIX° siècle parle t’il encore à une jeunesse gavée de fiction ?Chacun de nous a-t-il la capacité de repérer la part de vrai qui se niche dans cette histoire, et quelle marge d’invention l'auteur s'est accordé.
Ainsi Gavroche est un personnage que Victor Hugo a inventé en s'inspirant de l'enfant figurant sur le tableau La Liberté guidant le peuple d'Eugène Delacroix. Le petit garçon à droite de la femme qui porte le drapeau français semble avoir son âge, et il brandit deux pistolets, sur une barricade. Sa mort est un des passages les plus célèbres du livre. Il s'expose aux balles de l'ennemi en franchissant une barricade pour ramener des munitions aux soldats de son camp. Son courage, car il ne cessera de chanter et de railler les adversaires, comme s'il ne s'agissait que d'un jeu, fera de lui le symbole de la lutte pour la liberté.
L'auteur a romancé avec force puisque ses parents sont ces mêmes Thenardier qui martyrisent Cosette, à tel point que ce patronyme est devenu synonyme de bourreau d'enfants. Mais des mômes comme lui et Cosette ont bel et bien existé.
La troupe du Théâtre de l’Etreinte (quel joli nom) mérite tous nos compliments qui sont, je leur emprunte la formule, comme des baisers à travers un voile.