Les cloches ont sonné sur la Transju'

Publié le 14 février 2022 par Pascal Boutreau

Les cloches de la Transju' ont à nouveau résonné dans les Montagnes du Jura. Celles portées autour du cou des vainqueurs des grandes épreuves, l'un des plus beaux trophées, un de ceux que tous les gamins du coin rêvent un jour de pouvoir ramener à la maison. Celles accrochées sur l'arche en bois posé au-dessus des pistes du ravitaillement de Chapelle-des-Bois, fidèles depuis tant d’années pour saluer et escorter les concurrents.  
Pendant deux jours, les sourires de tous les passionnés de ski de fond sont enfin revenus après deux éditions annulées en raison du manque de neige en 2020 et du Covid l’an dernier. Le coup de feu tiré samedi à 9 heures, aux Rousses, au départ de la première course, a mis fin à deux longues années d’attente. Pour fêter ces retrouvailles entre la grande famille du ski de fond et la course la plus populaire en France, la météo était elle aussi au rendez-vous. Grand ciel bleu, soleil et neige parfaite.

Bonheur de retrouver des scènes toujours émouvantes. Sur la ligne d’arrivée posée au pied du tremplin de Chaux-Neuve, Thomas Joly, vainqueur samedi, a savouré l’instant. De longues secondes, il a agité sa cloche que les enfants venaient de lui accrocher autour du cou, il a crié sa joie. A 23 ans, le Jurassien a remporté sa plus belle victoire. « Gagner la Transju’, pour un Jurassien, c’est comme gagner les Jeux olympiques. C’est l’objectif d’une vie pour quelqu’un né dans cette région. Je suis incroyablement heureux. »

Mêmes émotions le dimanche pour les épreuves en skating. Dans l’aire d’arrivée, un homme ne parvient plus à retenir ses larmes. Sa voix tremblotante trahit une émotion aussi immense qu’intense. A 22 ans, Emilien Louvrier vient de remporter la Transjurassienne. Une victoire acquise au sprint au terme des 63 km et 1000 m de dénivelé positif tracés au cœur du massif du Jura. Un effort ultime pour s’offrir le bonheur et le privilège de pouvoir porter autour du cou cette fameuse cloche.

Originaire des Verrières La Cluse, le Doubiens, entraîné par son père, a signé le plus beau succès de sa jeune carrière, devant Mancini et Agnellet (Gaillard, 4e, du Pasquier, 5e). « Je suis plus qu’ému, confie Louvrier, les lunettes bien accrochées pour cacher ses larmes. C’était mon objectif de la saison. A quelques kilomètres de l’arrivée, il a fallu vraiment se battre pour revenir dans le groupe. J’avais des crampes de partout. Je n’ai rien lâché. » Un monument pour un fondeur local. « Aujourd’hui c’était un niveau international et gagner devant eux c’est plus qu’un honneur. J’ai gagné la Transju Jeunes six ou sept fois, j’ai gagné la 25 km en skating il y a trois ans, et aujourd’hui c’était ma première participation à la grande Transjurassienne. La gagner… je n’ai pas les mots. C’est inespéré. Je crois que ça vient du ciel ! »

Dans l’épreuve féminine, le dernier mot est revenu à Céline Chopard Lallier, 27 ans, elle aussi skieuse du Doubs (Morteaux). « C’est la course référence et encore plus quand on est Jurassienne, éclaire la sociétaire du Team Nordic Experience. La Transju’ c’est quand même très particulier pour moi. J’ai beaucoup accompagné mon papa qui la faisait quand j’étais petite, j’ai participé à la Transju Jeunes. Cette course fait partie de mon histoire depuis que je suis toute petite. Je suis vraiment très contente. »

Derrière, parfois même très loin derrière, le chronomètre et le classement sont souvent anecdotiques. Du plaisir avant tout. Celui de retrouver ces pistes, de skier au cœur de ces paysages du massif du Jura, la forêt du Massacre, la montée du Risoux et tant d’autres. Celui aussi de traverser tous ces villages, de se sentir supporté, et souvent même porté, de se faufiler au milieu d’un corridor humain dans la fameuse montée de l’Opticien des Rousses.

Au cœur du peloton, des hommes et des femmes venus de toute la France. Pour beaucoup, la Transju’ est bien plus qu’une course de ski de fond. Elle est un rendez-vous, un moment privilégié de leur saison. À 68 ans, Daniel Clerc, originaire de la région du Comté, en est à sa 33e Transju’. « Avec ma compagne Dominique Thierry, nous en comptabilisons même 60, rigole-t-il. La première fois c’était en 1982, je suis arrivé parmi les derniers et j’ai enchainé sur le bal. J’ai aussi été l’un des derniers à en partir ! Deux ans plus tard, j’ai fait la Transju’, pris le temps de manger un pot-au-feu et j’ai filé à la maternité où ma femme accouchait de mon fils. » A peine le temps de finir son éclat de rire que Boris Petroff, venu de Paris, l’interpelle. « Hey Daniel, ça va ? » Pour sa 20e Transju’, Boris ambitionnait d’enchainer la Transju’Classic de 50 km samedi (3h24’, 170e et 1er… master 9) et la Transjurasssienne de 63 km skating ce dimanche. « Ici, on ne fait pas 20 mètres sans tomber sur un copain, se réjouit le Parisien. Pourquoi revenir tous les ans ? Parce que je ne veux pas croire que je suis vieux. » Boris a 73 ans… mais une passion de junior.

Des anciens parmi lesquels les sept « sénateurs » qui ont disputé toutes les éditions de la Transju’ depuis la première, en 1980, mais aussi des petits nouveaux. « C’est ma première, raconte Séverine Gaillard, venue des Houches, près de Chamonix, juste avant d’entrer dans le sas de départ. Cela faisait longtemps que j’espérais être là mais j’attendais d’être vraiment prête. Je m’attends à une belle balade dans de beaux paysages. Ce sera une belle aventure. J’espère juste qu’elle ne durera pas trop longtemps ! » Elle aura finalement duré un peu plus de 4 heures. Avec forcément en passant la ligne d’arrivée, un immense sourire.

Un sourire partagé par tous les participants, quelle que soit la course disputée, quelle que soit l’ambition au départ. Pendant plusieurs heures, les splendeurs des Montagnes du Jura ont défilé devant leurs skis. Plus qu’une course, une aventure. Et pour les organisateurs de Trans'Organisation la satisfaction de voir tous les participants partager le même bonheur. « Je découvre l’envers du décor, confie Marie-Pierre Guilbaud, directrice de course et quatre fois victorieuse de la Transjurassienne (1989, 1991, 1994 et 1995). C’est une belle aventure humaine entre les participants, les bénévoles, les dameurs etc. Tout le monde amène sa part pour que ce soit une belle réussite. Il y a beaucoup de travail dans l’ombre, un travail de tous les instants. Nous sommes là pour que les gens soient contents et ils semblent l’être. » Nul doute que beaucoup attendent déjà avec impatience les 11 et 12 février 2023, dates de la prochaine édition. Avec déjà le bonheur d’entendre à nouveau résonner les cloches de la Transju’.

Photos :  © B.Sellier - Zoom / La Transju’ ... et moi