Lorsque vous tenez le boîtier 4 cd de Zaireeka dans les mains, quelque chose se passe, comme une certaine fascination pour une expérience qui fait presque peur. Rapide résumé pour ceux qui ne connaissent pas encore l’histoire de cet album, Zaireeka est le huitième album studio de la bande d’allumés de Wayne Coyne. Changeant radicalement de direction artistique, ils décident en 1997 d’enregistrer un disque d’une nouvelle génération, mixé sur 4 cd différents destinés à être joués sur 4 installations distinctes mais synchronisées. Chaque cd pouvant s’écouter seul, ou accompagné du deuxième, ou sans le troisième, ou avec le quatrième, la fonction mute de votre chaîne hi-fi se transformant ainsi en véritable instrument au sein de l’ensemble. Une idée certes arty mais lumineuse à plus d’un sens, plongeant ainsi l’auditeur dans une interaction sans limite avec l’objet disque, habituellement et presque tristement condamné à être lu d’une traite et tout seul.
Une révolution dans le domaine qui n’est pas née du jour au lendemain puisque quelques mois auparavant, Wayne s’amuse et fait naître le concept au cours de "Parking Lot Experiments", sortes de rassemblements de fans, dans un parking souterrain, de nuit, équipés pour l’occasion de 40 enregistrements K7 devant être joués par autant d’autoradios en furie. Une idée déjà bien travaillée donc qui n’était pas sans poser problème à Warner, réticent à produire le disque jugé trop expérimental et anti commercial, et tranchant la poire en deux en troquant la réalisation de Zaireeka contre celle un peu plus tard du plus classique mais non moins indispensable The Soft Bulletin. Dans cette affaire ils ne s’étaient pas beaucoup trompés. Tout ceci commençait à mettre à rude épreuve ma curiosité, attisée de nouveau à la lecture de l’avertissement sur la pochette : "cet enregistrement contient des fréquences habituellement non entendues sur des enregistrement commerciaux, qui peuvent en de rares occasions causer des désorientations à l’auditeur". Coup de bleuf ou coup de génie ?
On n’écoute pas Zaireeka souvent dans l’année. Rien que l’installation est un événement en soi. Disposant de la maison familiale pour la soirée, j’en profite pour bidouiller méthodiquement un système 10.1 (!!!), partouzant ainsi le home cinéma de papa, la micro chaîne de maman, le vieux lecteur Kenwood du grenier et l’ordinateur portable branché sur speakers. Le cœur s’emballe au moment de presser les quatre boutons Play disséminés aux quatre coins de la pièce, bientôt témoin d’un véritable crime sonore. Très tôt je me rends compte que la synchronisation est impossible et qu’un décalage de quelques secondes persiste entre les différents systèmes mais je comprends bien vite que c’est là ce qui fait tout le charme de ce disque, son incertitude et son unicité. Jamais deux écoutes ne seront pareilles et les morceaux semblent se modeler à l’infini.
Et c’est là qu’intervient la deuxième grande force de cet objet musical extra-terrestre, son interactivité, la sensation bien réelle de composer le morceau soi même, de faire partie du tout, de décider du volume de la voix, voire même de son absence. Et même en faisant cela, et dans une configuration d’enceintes en cercle autour du salon, l’attention passe à gauche, surgit à droite ou traverse la pièce dans un mouvement multi stéréo parfois éprouvant. Sans exagérer, la position debout au milieu de la pièce est difficile à maintenir bien longtemps. D’autant plus que les titres, dont je parlerai plus loin, réservent leurs moments d’apocalypse et de déluge sonore noyés par des voix fantomatiques possédées, jusqu’aux aboiements finaux du chien de Wayne (!?!). Aucun véritable répit pour un disque qui nécessite définitivement un certificat médical en règle.
Des titres justement qui auraient pu se limiter à de simples empilages de plages mais qui vont chercher beaucoup plus loin une fois encore, grâce à une écriture hallucinée de Wayne qui traite allègrement et dans le désordre d’un agent secret intersidéral stressé, du cycle menstruel de sa partenaire, d’un groupe de légumes de dessin animés et autres sujets sans queue ni tête, du moins pour nous. Sommet de l’expérience, "How Will We Know? (Futuristic Crashendos)" contient ces fameuses hautes et basses fréquences (ni agréables, ni désagréables, mais bien perceptibles) basées sur une légende urbaine leur attribuant le pouvoir de prémonition à quiconque les écoute ! Malheureusement je n’ai rien vu, mais je n’ai jamais rien entendu de tel, comme l’impression de se retrouver canin et soumis aux ultrasons, j’imagine.
L’on pourrait disserter sans fin sur cet album aux limites de l’imaginable tant les anecdotes et détails croustillants décrits dans le livret sont nombreux. Son écoute est unique et se mérite, mais il faut bien ça pour taper le bœuf avec les Flaming Lips, décidant soi même du temps de décalage entre les pistes et engendrant ainsi d’improbables harmonies vocales. Ajoutez à cela dans ma position estivale le bruit des cigales en fond sonore et vous n’en sortirez quoi qu’il en soit jamais indemne. Si avec tout ça je ne vous ai pas donné envie de tenter l’expérience…
En bref : Le disque le plus fou jamais créé à ma connaissance, sous forme d’opéra rock intuitif, sensitif et interactif, que jamais personne n’entendra deux fois pareil. Des compositions magnifiques destinées à mourir et renaître, le cercle de la vie en somme.
Le site officiel et le Myspace des Flaming Lips
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Wayne Coyne explique le "Parking Lot Experiment" :