Après mon billet sur la grogne sociale qui résulte de la hausse des prix, nous allons nous intéresser à la question de chômage, mais sous l'angle du taux d'activité. Ce dernier n'est que rarement convoqué dans les débats, alors même que son évolution nous donne des informations utiles sur la participation de la population à l'activité économique d'un pays, en particulier aux États-Unis où il est fort à propos désigné par l'expression "taux de participation".
Définition et constat
Le taux d'activité est le rapport entre le nombre d'actifs (personnes en emploi et chômeurs) et l'ensemble de la population correspondante. Souvent, les comparaisons internationales se limitent à une tranche d'âge, par exemple 20-64 ans ou 25-65 ans comme sur le graphique ci-dessous :
[ Source : OCDE ]
L'on voit un taux d'activité très élevé au Japon, l'économie étant en quasi-plein emploi avec pénurie de main-d’œuvre. Mais le graphique ne dit pas que ce résultat fut obtenu au prix d'une précarisation de l'emploi, souvent occupé par les jeunes et les femmes, que les réformes récentes tentent péniblement de corriger. Les États-Unis semblent être le mauvais élève, du moins du groupe de pays présentés sur ce graphique. Regardons alors de plus près l'évolution récente, en comparaison avec la zone euro, sur la tranche d'âge 20-64 ans :
[ Source : Natixis ]
Recul du taux d'activité aux États-Unis
En poussant la comparaison par catégorie, Patrick Artus a montré que le recul du taux de participation aux États-Unis résulte surtout des hommes de 20 à 59 ans et des personnes ayant un niveau intermédiaire d’éducation. Plusieurs explications peuvent être mises en avant pour expliquer ce phénomène inquiétant. Parmi celles-ci, il y a celle des compétences, car de plus en plus d'emplois font appel à une qualification élevée.
La santé des personnes est un autre facteur expliquant le recul du taux d'activité. Qu'il suffise de penser à la crise des opiacés ou, plus récemment, aux personnes touchées par la pandémie de covid-19. L'idée avancée par Joe Biden d'améliorer la couverture santé des Américains est de ce point de vue une excellente nouvelle pour eux, en tant qu'être humain, et pour l'économie, en tant que participants à l'activité. En effet, des personnes en meilleure santé sont plus susceptibles d'accepter un emploi que celles malades...
Cela semble être une évidence, mais pas aux États-Unis où de nombreux politiques se persuadent depuis un demi-siècle du contraire, alors même que les chiffres montrent qu'une protection sociale faible n'a jamais été associée à une hausse du taux d'activité. L'on retrouve à peu près le même genre d'ânerie en France avec le discours sur les allocations chômage et leur prétendu effet désincitatif sur la reprise d'emploi : la causalité n'est pas démontrée, mais souvent évoquée pour justifier des réformes et (accessoirement) pour satisfaire un certain électorat...
De plus, dans la période récente, l'on a assisté aux États-Unis à une vague de démissions, qualifiée de Great Resignation (Grande démission), qui est le résultat d'un changement de rapport au travail avec les confinements de la pandémie. Certains prennent une retraite anticipée, en vivant de leur patrimoine qui a pu gonfler grâce aux performances boursières et immobilières. Mais le plus souvent, il s'agit de travailleurs qui en ont assez d'exercer un emploi dans des conditions dégradées (salaire faible, temps de travail fractionné ou élastique, charge de travail trop forte, faible intérêt pour l'emploi...) et souhaitent profiter plus de leur famille et de leur temps libre. Pour ce faire, ils changent de secteur d'activité, ce qui crée des tensions sur l'emploi, notamment dans la restauration (l'on note le même phénomène en France). D'autres, enfin, ont repris le chemin des études pour apprendre un nouveau métier, se former à de nouvelles disciplines ou tout simplement pour prendre du champ intellectuel.
En définitive, notre brève analyse du taux d'activité montre que le taux de chômage ne dit pas tout de la situation de l'emploi dans une économie donnée. En effet, aux États-Unis, il eût été facile de conclure à une situation de plein emploi avec le seul taux de chômage, alors que le taux d'activité suggère une situation au contraire très dégradée.
[ Source : BLS ]
Cela démontre au passage qu'à force de n'évoquer le chômage que sous l'angle de son taux, on finit par occulter toutes les questions de qualité de l'emploi et de déclassement professionnel, qui expliquent le malaise grandissant ressenti par les salariés ravalés au rang de simples exécutants numérotés d'un programme d'ensemble voué tout entier à l'efficacité compétitive, c'est-à-dire prosaïquement à l'accumulation de capital par une minorité d'actionnaires usant et abusant de son droit de propriété sur l'entreprise !
P.S. L'image de ce billet provient de cet article de The Economist.