Les Italiens ont inventé la sprezzatura, une insaisissable façon de s'habiller et de faire corps avec la mode qui consiste en une nonchalance maîtrisée, une élégance à peine appuyée, sans effort et pourtant si codifiée où les règles ne sont pas écrites mais intuitives. Nino Cerruti, issu d'une lignée d'industriels textiles depuis 1881, a ajouté une corde à sa généalogie en passant du métier à tisser à la machine à coudre. Formé à la philosophie, il n'allait pas devenir un tailleur traditionnel à la cause entendue, mais au contraire s'incarner en styliste de la déstructuration, un maestro inspiré de la sprezzatura qui a partagé son goût pour la liberté vestimentaire, la légèreté de l'être. C'est à Paris, capitale de la féminité universelle, qu'il ouvre sa première boutique de mode pour homme à l'enseigne Cerruti 1881 qui deviendra la clé de voûte d'une masculinité stylistique contemporaine et mondiale. Avant qu'il ne s'efface et sa maison avec lui happée par l'arrogance de prédateurs chinois.
De Nino Cerruti, il me reste en mémoire son sourire empreint de grande douceur et ce regard piquant qui traverse la vie avec la désinvolture du gentleman qui fait son Grand Tour, curieux des autres, amateur étonné que tout intéresse. De Nino Cerruti, il me reste sa longue silhouette légèrement voûtée, roseau gracile bercé par la fureur du monde, il me reste son pull jaune arboré comme un talisman lors de chaque défilé. De Nino Cerruti, il me reste ses conversations profondes et périphériques à la mode, il me reste son accent onctueux d'Italien francophile et la tonalité de sa voix de joueur de jazz qui improvise ses mélodies. De Cerruti 1881, il ne reste rien (ou si peu), sinon le souvenir de la désinvolture d'un vestiaire masculin précis inventé par un homme céleste comme une étoffe de laine aérienne et soyeuse qui maintenant habille les anges...
Photo : D.R.
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