Etre au présent

cliché I. Rambaud
Je ne suis pas sûre de l'écriture (est-ce la mienne ? étais-je l'élève ou la maîtresse ?), ni de l'âge (6 ou 7 ans ? un peu plus encore ?). J'ai même à peine le souvenir de ces moments là : quand je vois le tableau noir, la brosse au feutre poussiéreux, les vieilles craies, le cerceau qui a du servir (mais franchement je ne m'imagine même pas courir derrière cette chose tout droit venue des tableaux du XIXe siècle où les petites filles ont des gants blancs et des chapeaux à rubans), j'ai l'impression que l'image figée me concerne aussi peu qu'aujourd'hui les jeux vidéos destinés à forger les futurs souvenirs de vacances des adolescents. Nulle réminiscence parfumée, aucun trouble diffus. Des milliers d'enfants ont bien du ainsi "jouer à l'école", justement quand l'école était finie, imitant les gestes et les mots du maître, laissant des traces sur les murs.Peut-être seraient-ils émus de retrouver tous les ans à l'occasion des vacances, un lieu qui aurait conservé les vestiges de leurs jeux. Or je ne suis pas émue, juste étonnée que d'un an sur l'autre ce cerceau, ces craies ne changent pas de place alors que tout bouge, nos corps comme les planètes et les gouvernements.Ma chance est donc surtout que l'image existe, (vous l'avez sous les yeux), brute et sans montage. Le lieu existe, les craies sont toujours là. Rien n'a changé depuis "ce temps là" (celui de l'enfance). La petite pièce reconvertie en salle de classe n'a pas eu besoin d'être utilisée. Elle s'est fermée sur sa poussière et les jeux d'autrefois. De temps en temps, on pousse la porte, on regarde ce capharnaum comme une vitrine du passé, on ne touche à rien. On ferait sans doute mieux.Chaque génération construit son existence et la rend visible aux autres : je ne suis pas sûre que les bouts de craie soient nos meilleurs ambassadeurs, même s'ils ont, pour nous, le charme des choses réelles et usagées.Ce qui compte est qu'à un moment de ma vie, "jouer à l'école" a été un acte essentiel, plus important que courir dans le jardin ou jouer à la poupée. Pour apprendre les mots, comprendre le monde. D'autres deviennent athlètes ou stylistes. Ils ont raison aussi. Ces choix leur correspondent. Le mien a été, petite, de "jouer à l'école".Je regarde donc à distance ces preuves écrites, sans nostalgie particulière, sachant néanmoins qu'elles témoignent d'un goût particulier qui m'habite et fait partie de moi.Mais ce qui me touche le plus aujourd'hui, n'est pas de retrouver ce musée d'enfance plein d'araignées et de mites qu'il faudrait chasser à grands renforts d'aspirateur, mais que le verbe conjugué sur la boiserie soit le verbe ETRE au présent.
Aurais-je été si fière avec le verbe avoir ? avec un passé simple ou un subjonctif ?Ce verbe ETRE au présent, écrit il y a temps d'années, me dit "je suis", "nous sommes" comme une injonction, un ordre à travers les saisons, les portes fermées et la poussière. Un écrit d'enfant qui ne pense qu'à bien réciter mais qui peut-être se met déjà dans la tête, le temps d'un été et sans bien le savoir, juste en formant les lettres avec application et plaisir, les chantiers de sa vie future.Merci pour votre lecture ! Thank you for reading !