C'est horrible à dire. Je me tais donc devant le lit. Je me contente de penser. On pense même quand nos pensées n'en valent pas la peine. Ça part dans tous les sens chez moi, à cause de la peur. Je peux toujours me concentrer sur ce mantra: le nom de Wallace.
Celui qui se contente de penser, c'est Tom. Il ne peut rien dire devant le lit de Wallace où elle demeure allongée sans mouvement, dans la chambre d'hôpital qu'elle occupe dans l'unité des soins intensifs.
Tom pense, ne parle pas. Il est désemparé devant le corps inerte de Wallace. Il ne sait que lui dire. Alors il se met à lui lire un livre, Vingt mille lieues sous les mers, parce qu'il sait que Wallace aime l'eau.
De son côté, Wallace évolue dans un monde à part, un monde noir qui ne laisse pas de la surprendre, un monde onirique dont elle se demande s'il est ou non cauchemardesque, où elle est déconnectée.
Comme Tom a du mal à s'exprimer devant elle, il a fait l'acquisition d'un appareil enregistreur qui a la forme d'un gros oeuf noir. Cela va lui permettre de lui parler, de monologuer sans exiger de réponse.
Horizon R est un dialogue de sourds singulier où Tom et Wallace monologuent chacun de son côté, lui sans savoir si elle l'entend, elle sans savoir s'il existe un autre monde que celui, intemporel, qui est sien.
Tom raconte des histoires à Wallace, via l'oeuf noir, des histoires qu'il engrange lors des lectures ou des déplacements qu'il fait: Je parle pour tu entendes demain ou dans un an ce que j'ai dit aujourd'hui.
Wallace ne sait toujours pas ni ce qu'elle est, ni où elle est - est-elle sur une planche, dans un tiroir? -, ni comment retrouver le monde d'avant, car la seule chose qu'elle devine, c'est qu'il y a bien un avant.
Marina Salzmann termine son roman qui apparaît comme un chant poétique à deux voix, le vibrato arabesque de Wallace et le monocorde murmure de Tom, par une coda surprenante et ... par cet aveu:
Comme dans les rêves quand on les raconte, j'ai oublié beaucoup des détails de leur histoire. De nouveaux se sont sans doute ajoutés. Le faux est parfois devenu vrai, et le vrai faux.
Francis Richard
Horizon R, Marina Salzmann, 112 pages, Bernard Campiche Editeur
Livres précédents:
Safran (2015)
La tour d'abandon (2018)