Anselm Kiefer est un artiste allemand et Anselm Kiefer est un con.
Anselm Kiefer est un con parce que Anselm Kiefer est un artiste de renommée internationale, non-juif, qui vit à Barjac dans le Gard. Il est curieux de dire « non-juif » de quelqu’un, c’est sûr, mais dans le cas d’Anselm Kiefer, le non qualificatif est d’importance. Paradoxalement, Ii explique et donne un regard sensé à cette exposition et à l’œuvre dans son ensemble. Anselm Kiefer a en effet beaucoup travaillé avec Paul Celan, poète allemand, juif, très « touché », blessé, abîmé, profondément dans sa chair, dans son âme et dans sa vie par la Shoah. À l’opposé, pour Anselm Kiefer, la Shoah n’est pas un vécu ou une plaie mais, (j’allais dire seulement), une référence devenue obsessionnelle et constitutive. Constitutive parce que d’une interrogation philosophique, il a viré à la fascination, se collant une responsabilité, (une culpabilité ?), presque personnelle sans doute, qu’il porte et qui alimente une grande partie de ses images. Si on doutait de la sincérité de l’artiste, on dirait qu’il s’agit là d’un fonds de commerce pour habiller un mal de vivre de toute une génération d’Allemands qu’il reprend à son compte.
Anselm Kiefer est un con parce que, dans la grandiloquence du projet Monumenta, cette interrogation aussi douloureuse et légitime qu’elle soit, perd de son efficacité et sans doute de sa vérité.
Anselm Kiefer est un con parce qu’on ne sait jamais comment écrire son nom. En fait cela s’écrit avec un seul F et ainsi il ne peut être confondu avec Philippe Kieffer du commando du même nom (et c’est tant mieux parce que ça n’a rien à voir). Avec cet F unique, on sait qu’il n’a pas non plus de rapport avec la maison Kieffer traiteur de père en fils, à Schiltigheim depuis 1936, dans le Bas-Rhin, (organisateur de réceptions au service de l'événement, pour tous vos mariages, et autres baptêmes). Il n’a non plus rien à voir avec la menuiserie Kieffer à Ormes dans le 51, qui aurait pu lui donner un coup de main pour construire ses maisons du Grand Palais. Ça ne c’est pas fait parce que les maisons d’Anselm Kiefer ne sont pas en bois, elle sont en tôles ondulées et en béton. La maison Kieffer de Ormes a été fondée en 1929 alors que Lui est né en 1945, à Donaueshingen en Allemagne. Donaueshingen, c’est en Foret Noire, très sombre et très provinciale, et à notre connaissance, on y trouve peu de palmiers couchés, ce qui tend à prouver que ce n’est pas de cette ville de 20 000 habitants que vient le palmier géant gisant sur le sol du grand palais. Mais on va y revenir.
Depuis 1991, il vit et travaille à Barjac dans le Gard, où il construit et crée ses monuments. Pour en finir avec les lettres, (tout du moins provisoirement parce qu’avec Anselm Kiefer, il en reste toujours un peu, des problèmes de lettres), Il n’y a qu’un seul F à son nom pour ne pas avoir à voir (Anselm aime, malgré tout, les répétitions) avec Tina Kieffer. Ce qui est sûr, c’est qu’il est moins jolie qu’elle, et qu’on s’en fout, mais ce qui est sur aussi, c’est qu’ il veut vraiment être beaucoup plus sérieux que la rédactrice en chef de Marie Claire, et que n’importe qui d’autres d’ailleurs, et là c’est plus grave.
Anselm Kiefer est un con justement parce qu’il veut être très sérieux, trop sérieux et qu’il y parvient jusqu’à la lourdeur. En fait, Il ne doit son salut qu’à la dimension exceptionnelle de ces œuvres, qui, sans ce gigantisme spectaculaire, et les sensations qu’il procure, pourraient passer pour de simples illustrations démonstratives d’un mégalo démonstratif.
Anselm Kiefer est un con parce que non seulement il n’est pas drôle du tout mais qu’en plus, dans cette démesure extraordinaire, il noie son « poisson ». Il noie son poisson, le poisson secret de tous les artistes, celui que l’on cherche, que l’on voit, que chacun s’invente, que l’on triture et s’approprie dans l’ œuvre donnée à voir. Ce poisson volant, rampant, invisible ou multicolore, à chacun son idée, qui n’existe peut être pas mais qui est là, tapi sous les plis de l’œuvre et que l’on partage en silence. (Comprenne qui pourra justement et sans écouteurs MP3). Il le noie sous des évidences apparentes, des poncifs convenus et grands formats, en tentant par exemple de fracasser des esquifs volants, coulants, dégoulinants et brinquebalants, sous des monceaux de ferrailles ou des épaisseurs de peintures de chairs ou de terres écorchées. Mais ce n’est qu’un exemple de détournement de son sujet…
Anselm Kiefer est un con parce qu’on le devine tout de suite, son poisson : cette douleur du monde, cette culpabilité, qu’il prend à bras son propre corps, et le nôtre, regardant tête en l’air, dans les boîtes-maisons où nous déambulons.
Anselm Kiefer est un con parce que pour expliquer tout ça, et en fait pour noyer ce poisson, il veut lui donner de l’épaisseur, du sens, mille sens imposés et des sens interdits aussi… il nous inflige alors cette visite avec casques, pour nous distiller les mots de ces maux. Et cette exposition, finalement déjà en soi extrêmement bavarde de tous les discours possibles, nous donne à lire et à écouter beaucoup : des lettres, des mots, des poèmes et même des références à Louis Ferdinand, l’écrivain qui par un détour mal foutu et des malentendus de bien pensants se retrouve lié à la shoah.
Justement à propos de Céline, Anselm Kiefer est un con parce qu’il aurait voulu être un écrivain ou un poète. Il aurait fait des vrais livres de papier à lire pour dire ce qu’il voudrait nous dire. En fait comme il est artiste, plasticien, de renommée internationale, il fait des livres de zinc, de plomb et de verre, énormes, magnifiques mais si lourds. Et il nous inflige les casques pour être sûr que l’on comprenne ce qu’il n’a pas pu écrire.
Et enfermés dans leurs casques, les visiteurs n’osent plus, ne peuvent plus sortir du cadre. Ils ont leur repère/(devenus des repaires), bonne conscience, et « communient » avec sérieux, objectivité et religiosité, avec l’artiste rédempteur. La cosmogonie de la Nasa peut être dépieutée ou sacralisée ou moquée, les étoiles peuvent tomber du ciel, en lambeaux de nombres codés, La Kabbale peut être convoquée, Alléluia ! La Paques peut être célébrée en toute quiétude. On brandit les rameaux, Jésus Christ gît en palmier mort comme un sauveur du monde. Le cœur de l’Homme sanctifié, s’élève au dessus du brouillard. La nuit et les brouillards gigantesques enveloppent les ruines élégantes d’un linceul théorique: j’ai vu la fin du monde mais j’ai vu aussi les brindilles et les fleurs repousser. Nous sommes sauvés ! De l’horreur absolue et de la mort définitive, émerge du sens et de la compréhension : Les lecteurs de Télérama exultent et reprennent leur souffle, ils ont touché et compris l’essentiel, ce qui DOIT être compris. Ils peuvent repartir tranquilles et rentrer chez eux apaisés.
Anselm Kiefer est un con parce que noyé dans ces discours, cette monumentalité apprêtée, ce gigantisme, ces explications, seul le sens finit par faire autorité et la sensation se perd, la beauté se voile et n’apparaît plus.
Anselm Kiefer est un con parce qu’il est un grand artiste, important pour éclairer nos âmes, et que l’on n’a pas besoin de tous ces mots et de tous ces décriptages convenus, parce que ce qu'il y a au grand palais est simplement très rare et très beau.