" Toute œuvre mineure a un auteur secret, et tout auteur secret est, par définition, un écrivain d'œuvres maîtresses. Qui a écrit telle œuvre mineure ? Apparemment , un écrivain mineur. La femme de ce pauvre écrivain peut en témoigner, elle l'a vu assis à sa table, penché sur les pages blanches, se tordant et faisant glisser sa plume sur le papier. Elle a l'air d'être un témoin irréfutable. Mais ce qu'elle a vu, ce n'est que la partie extérieure. La coquille de la littérature. Une apparence... Celui qui en vérité est en train d'écrire cette œuvre mineure est un écrivain secret qui n'accepte que la dictée d'une œuvre maîtresse.
Notre bon artisan écrit. Il est absorbé par ce qu'il est en train de mettre en forme bien ou mal sur le papier. Sa femme, sans qu'il le sache, l'observe. En effet, c'est lui qui écrit. mais si sa femme avait une vision aux rayons X, elle s'apercevrait qu'elle n'assiste pas réellement à un exercice de création littéraire, mais bien plutôt à une séance d'hypnose. À l'intérieur de l'homme qui est assis en train d'écrire il n'y a rien. Rien qui soit lui, je veux dire. Comme ce pauvre homme ferait mieux de se consacrer à la lecture. La lecture est plaisir et joie d'être vivant ou tristesse d'être vivant et surtout elle est connaissance et questions. l'écriture, en revanche, est d'ordinaire vide. Dans les entrailles de l'homme qui écrit il n'y a rien. Rien, je veux dire, que sa femme, à un moment puisse reconnaître. Il écrit sous la dictée. Son roman, ou son recueil de poèmes, convenables, très convenables, sortent, non par un exercice de style ou de volonté, comme le pauvre malheureux le croit, mais grâce à un exercice d' occultation. Il est nécessaire qu'il y ait beaucoup de livres, beaucoup de beaux sapins, pour qu'ils veillent du coin de l'œil le livre qui importe réellement, la foutue grotte de notre malheur, la fleur magique de l'hiver. "
Roberto Bolaño : extrait de "2666", Éditions Christian Bourgois 2008, pour la traduction française.