S’il faut résumer on peut dire qu’un garçon d’étage introduit successivement sur la scène : un journaliste-publiciste nommé Garcin, don Juan cynique, une ancienne employée des Postes, Inès, homosexuelle et une jeune mondaine, Estelle.
Questionnant leur présence dans ce lieu fermé à clé par une porte rouge, ces trois morts qui sont trois salauds vont devoir s’interroger sur leur damnation et sur leurs actes dissimulés sous les masques du mensonge et de la lâcheté.
Toute alliance s’avérant vite impossible, chacun deviendra le bourreau de l’autre. Eternellement.Même si les rôles féminins sont plus puissants et que la pièce est surtout un trio où les rapports de force oscillent constamment selon les alliances, on remarquera que la présence d’un comédien de la finesse de jeu de Brock apporte un piment supplémentaire.Il installe à la perfection les personnages, avec un humour comparable au médecin qui nous rassure que ça va bien se passer alors qu’en fait l’intervention sera un cauchemar. Pas pour nous spectateurs, mais pour ces trois « absents » qui s’empêtrent dans leurs justifications.
La mort n’est pas du tout le sujet même si le mot reste un tabou (ce que dénoncera d’ailleurs Électre en seconde partie de soirée dans ce même théâtre en le criant haut et fort, cette autre pièce fera l’objet d’un article spécifique). Il est surtout question de culpabilité, de déni, de faux-semblants, de tentatives de séduction et de manipulations pour présenter une bonne image de soi, quoiqu’on ait fait. A ce titre rappelons notre dépendance acquise à l‘égard du jugement que véhiculent les réseaux sociaux.
Il faut réécouter quelques phrases de l’auteur afin de ne pas surinterpréter son propos : Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous, nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné, de nous juger. Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Quoi que je sente de moi, le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui et alors, en effet, je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres, ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de nous.Il va falloir briser le cadre pour atteindre sa propre vérité, accepter en quelque sorte de se regarder en face, et ce n’est pas un hasard s’il n’y a pas de miroir dans le décor planté par Jean-Paul Sartre, faute de quoi on passerait sa vie entière à n’être que des morts-vivants. Et, comme le dit Garcin, Comment pourrais-je me supporter ?La mise en scène de Jean-Louis Benoit, qui signe également la scénographie, sert ce paradoxe selon lequel nous élevons nous-mêmes les murs de notre prison puisqu’au fond nous sommes libres de nos actes, et par conséquent aussi de nos changements. Puisque comme le rappelle Inès seuls les actes décident de ce qu’on a voulu…C’est Marianne Bassler qui interprète Inès, avec la sensibilité qu’on lui connait et que j’avais tant appréciée aussi dans En garde à vue comme dans le seule-en-scène de L’autre fille en Avignon l’été dernier. Sa partenaire Mathilde Charbonneaux a une belle présence sur scène.En outre, si on se souvient que la pièce fut écrite en 1943 les références aux lâches et aux salauds prennent une dimension prédictive. Et quand j’entends la réplique La peur c’était bon avant je pense à Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain …
Avec Marianne Basler, Maxime d’Aboville / Guillaume Marquet, Mathilde Charbonneaux, Antony Cochin / Brock
Scénographie Jean-Louis Benoit et Antony Cochin Du 2 février au 18 mars 2022Du mardi au samedi à 19 h
Au Théâtre de l’Atelier - Place Charles Dublin - 75018 Paris