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Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 5 - Le Chippendale) - Fragment 13-14-15

Par Blackout @blackoutedition

Pour les livres de Richard Palachak, c'est par ici : KALACHE, VODKA MAFIA, TOKAREV, L'ESPRIT SLAVE

Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 5 - Le Chippendale) - Fragment 13-14-15

Photo de Simon Woolf

Saison 5 : Le Chippendale

Fragment 13

Fin des flashs...
Un vilain cube acier bordé de métal infect avec une imbuvable rampe d'accès en ferraille rouillée, puis des barreaux rubigineux sur les fenêtres... à mon grand étonnement : noir de monde. Et les victimes entassées dans la salle d'accueil neurasthénique attendant leur tour sous la lumière sale de néons mutilés. Une secrétaire court dans tous les sens en pistonnant le bouton d'ouverture du SAS. Des shtars sont réunis dans l'arrière-boutique autour d'un café. On les entend tchatcher sport-auto, barbec et plans gonzesses. Et pendant qu'ils se tirent sur la paille, la nana se fend le trou de balle en quatre. En me voyant débarquer dans la place, elle me fait signe de me présenter au guichet :
Kalache Tokarev... on m'a convoqué il y a une heure.
Attendez que je regarde... ah oui, Monsieur Tokarev... vous êtes attendu par madame Jolie.
C'est pour l'amende de 135 euros ?
Madame Jolie n'est pas gardien de la paix, c'est une commissaire de police.
Vous voulez dire que je fais l'objet d'une enquête ?
Allez vous asseoir s'il vous plaît, un officier va venir vous chercher.
J'ai à peine le temps de poser mon cul que le battant de la zone de sûreté s'ouvre. Un écussonné m'appelle et je lui emboîte le pas. La précipitation des événements me confond... si je passe avant le populo, c'est que ça craint le pâté pour moi.
Au centre de la fourmilière, y a des ouvrières qui zigzaguent d'une porte à l'autre en traînant des classeurs... puis y a des majors en civil qui traînent des prévenus en arborant leurs pétards en bandoulière... Mais au premier étage, les couloirs se dépeuplent et mon guide me fait rentrer dans un bureau cosy de chef... où patiente une blonde aussi belle qu'un astre glacé :
Enchanté de vous voir enfin, monsieur Sapin. Je vous en prie, asseyez-vous.

Fragment 14

À l'évidence, il s'agit d'un malentendu.
Rien n'est entendu. J'ai quelques questions à vous poser,
Des questions sur quoi ?
Sur le sapin, pour commencer... Bien que le gérant du Lovestore défende votre obsession, je souhaiterais savoir ce que cet article éveille en vous.
Une monstruosité devant laquelle j'ai bloqué parce qu'elle évoquait pour moi une monstruosité. C'est la répulsion qui m'a paralysé, non pas de l'excitation comme vous semblez l'insinuer.
J'ai parlé d'obsession, c'est vous qui parlez d'excitation...
Vous vous fourvoyez complètement à mon sujet.
Alors en vertu de quel fourvoiement, j'ai en ma possession un bon de caisse au nom de « Monsieur Sapin » ? Et en vertu de quel autre fourvoiement, ce même « Monsieur Sapin » fait saturer les réseaux sociaux ?
L'hystérie collective.
Noémie vous a trouvé nerveux, voire agressif et provocant...
Noémie ?
Noémie... votre nom d'emprunt... le sapin en plastique... allons droit au but, Monsieur Tokarev !
Une seule raison paraît probante et crève les yeux : l'absence de raison ! J'ai bloqué sur ce sapin sans raison, j'ai lâché ce nom d'emprunt débile sans raison, j'ai pris la caisse de Noémie sans raison. Et savez-vous pour quelle raison j'ai fait tout cela sans raison ?
Non, mais j'aimerais bien le savoir, en effet.
Parce que j'ignorais que ce sapin gigantesque était un godemiché, j'ignorais que mon pseudo débile était calomnié sur les réseaux, j'ignorais qu'une ancienne élève était à la caisse ! J'ignorais ce que tout homme honnête et normal ignore : l'absence de raison !
Pourtant, la caissière se trouve être une ancienne élève... cette ancienne élève se trouve être la fille d'un gérant... ce gérant se trouve être celui du Lovestore... ce Lovestore se trouve être un sexshop... ce sexshop se trouve être le lieu de votre rencontre avec un sapin en plastique... ce sapin en plastique se trouve être un vibromasseur inhumain... et ce vibromasseur inhumain se trouve être le référent de votre nom d'emprunt : « Monsieur Sapin. » Cessons de jouer, Monsieur Tokarev, où étiez-vous de quinze heures à vingt heures ?
À l'évidence, il s'agit d'un malentendu...
Ça, vous l'avez déjà dit. Maintenant, répondez à ma question : où étiez-vous de quinze heures à vingt heures ?
On loue mes services de chippendale à cent euros la soirée, c'est un marché qui ne se refuse pas... La fête a lieu ce soir aux Deux-Auxons pour l'anniversaire d'une nana que je ne connais pas. Comme c'est la première fois que je fais un truc pareil, je ne dispose pas du costume adapté. Du coup, j'ai dû bidouiller un pantalon pour qu'il puisse se déclipser. Sauf que je ne pouvais pas faire ça chez moi à cause de ma femme, et je ne pouvais pas faire ça non plus dans ma bagnole à cause de vos patrouilles. Un ami m'a proposé d'établir mon atelier sur l'un de ses chantiers.
Qu'est-ce que vous entendez par un chantier ?
Le coulage d'une dalle en béton.
Vous prétendez avoir passé l'après-midi à coudre un pantalon de stripteaseur en compagnie d'une équipe d'ouvriers du bâtiment ?
Pour être exact, on m'a confiné dans le salon de la baraque avec les gamines.
Les gamines ?
Oui, les filles du proprio... mais c'est pas ce que vous croyez !
Quel âge et combien ?
Non, c'est pas du tout ce que vous croyez !
Quel âge et combien ?
Dix, entre cinq et douze ans. Mais j'vois pas ce qu'il y a de mal à coudre entouré de petites filles ?
Vous ne doutez de rien...
C'est vous qui ne comprenez rien !
Qu'avez-vous fait d'autre avec ces enfants, monsieur Sapin ?
J'ai regardé la Reine des Neiges.

Fragment 15

N'ayant pas de fondement substantiel à charge, on me relaxe après la prise de mes empreintes digitales et insertion de ma photo dans un fichier de renseignements pour maintien de l'ordre public. En gros, je suis listé parmi les détraqués du cul de la région. Et quand un exemple de vertu canonisé par la presse et la mairie se révèle être un pervers sexuel, la population n'attend pas qu'il se fasse serrer par la justice. Elle le démembre à la lime à ongles au plus vite.
Dès ma sortie du commissariat, deux skinheads en 208 prennent ma caisse en filoche. Je sillonne les rues d'un quartier pavillonnaire pour les semer, mais les deux bourrins mettent la gomme à mes trousses. Alors j'avoine à mon tour et rejoins la nationale.
Comme Frédo habite à mi-chemin des Deux-Auxons, je lui passe un coup de fil pour lui demander de me prêter son vieux Sandero. Au début, il rechigne un peu à décoller le cul de son ordi, mais il finit quand même par bouger pour accrocher les clés sous le pare-soleil de sa vago.
Une fois dans le patelin, je gare ma caisse devant la gendarmerie et file comme un lévrier diarrhéique dans les artères tordues d'un dédale moyenâgeux. Derrière moi, des crissements de pneus sur les graviers... des claquements de portières et des cris qui veulent en découdre.
Une fois dans l'impasse où se trouve la Dacia de mon ami, j'embarque tout doux, ni vu ni connu et roule au pas jusqu'à la deux fois deux voies de la libération. C'est bien la première fois depuis le début de cette histoire que je crois m'éviter des ennuis !
Enfin, ça ne dure pas longtemps... car arrivé aux Deux-Auxons, parmi la pagaille de tacots stationnés devant la maison, je retrouve la 208 et ses deux malabars en train de cloper sur pied... brassardés de la bande orangée « Police ».

Richard Palachak

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