ce qui dans la voix ne peut parler
s’enfonce dans la gorge
qu’il faut racler
pour faire sortir un son
faire remonter le son de la voix
(avec le sens)
sans être sûr
de ce qui va advenir
parfois un regard se prolonge
à la place des mots
à quoi pense-t-on
on ne veut pas le silence mais le fuir
« Fuir » le silence et son « emprise » reviendrait, fébrilement, à prendre de la hauteur par les mots. À l’exemple des martinets, il faudrait sans fin se soulever, jouer avec l’air pour éviter la chute : « je sais que s’ils tombent ils ne sauraient se relever ». Le titre du recueil concentre ces enjeux. Swifts, un souffle autant qu’un mot dont l’orthographe, riche en consonnes, pourrait suggérer un encombrement de la voix, alors que celle-ci s’éclaircit en le disant. Swifts, pour s’écarter, grâce à la traduction, du silence qui pèse sur « la langue paternelle » (« son silence réduisait tout en miettes »).
Les trois parties du livre (« la langue de la chienne », « la langue des swifts », « la langue du sanglier ») sont autant de trajets, de passages de la langue héritée à la langue désirée, aérienne. La figure de l’entre-deux occupe de fait le recueil. Ainsi d’une des premières images : dans l’eau d’un canal, « on voit par transparence un sac / en plastique flotter entre deux eaux ». Ce spectre s’incarne à la fin de la première partie : « et la chienne nage / la tête au ras de l’eau l’ouïe est une / ligne au-dessus de la ligne d’eau / les narines au-dessus pour humer l’air ».
Chercher « un chemin entre les langues » serait le cœur de swifts, « chemin » entre la « langue transmise / dans laquelle je patauge / me bauge », et ces autres langues animales faites de leurs gestes et de leurs surgissements : chienne constamment à l’écoute du moindre bruit ; martinets filant, passant et disparaissant dans le ciel à toute vitesse ; sanglier retournant la boue, dont la présence est inséparable de l’invisible. On pourrait dire des sangliers comme des mots : « les sangliers ne se laissent pas si facilement approcher / le jour près d’un fleuve j’ai cru les entendre / mais tandis que tu me les désignais / peut-être seulement un souffle de vent dans les herbes hautes / un frisson ».
Antoine Bertot
Camille Loivier, swifts, éditions Isabelle Sauvage, collection « présent (im)parfait », 2021, 76 p., 16€
*
Extraits (p. 25 et 48)
la nuit les vents couvent les courbes et
tu m’ouvres la main
– c’est dans le parc
les chiennes leurs robes blanches sous la lune
forment des taches au milieu des symphorines
tu les caresses apaisé
de n’avoir su aimer
t’épuisait
comment ne pas aller jusqu’au bout des lèvres
pour que les mots laissent écrit
le silence et que perdu il s’accroche
écrire ne devrait pas engloutir les mots
inscrits blanchissent le papier
qui les absorbe en vrac
*
dans les courants d’air glacés du nord
comment savoir s’ils peinent ou aiment
et peut-être que pour eux
cela n’a pas d’importance
swifts
fuite de la fragile ligne de leurs vols
danse
(leur vol dans la danse du vent)
– pas un mot ne semble pouvoir s’ajuster à ce que l’on ressent –
ils sont là les swifts dans un ciel très sec
l’émotion qu’ils m’apportent disparaît sous ce trait de crayon
qui les immobilise
on glisse sur les choses rien n’accroche
(car alors) comment rendraient-elles
complice de ce qui a été mais n’est plus
– les swifts jouent avec le vent –