Le roman de Jim

Par Fibula

Si les romans qui abordent la maternité foisonnent, ceux sur la paternité se font plus rares, selon ce que je vois. Ou je n'en lis pas souvent. Ou bien ils ne sont pas annoncés comme tels, moins assumés. Je ne sais pas vraiment. Ce qui est certain, c'est que Le roman de Jim fait partie de ces livres sur la paternité, décrivant avec  sensibilité les liens très forts unissant le narrateur, Aymeric, et le fils de son amoureuse, qu'il retrouve (il l'avait croisée quelques année auparavant) alors qu'elle est enceinte de 6 mois d'un autre homme. Aymeric découvre et assume totalement son instinct et son désir de paternité avec cet enfant, Jim, qu'il élèvera pendant 10 ans aux côtés de sa compagne Florence. Puis sa relation avec Florence se délite, le père biologique réapparaît, faisant exploser le foyer harmonieux qu'Aymeric avait contribué à créer. Vient alors le rejet et l'incompréhension face à un mensonge machiavélique.
Cette histoire pourrait être banale, mais le jeune auteur (39 ans et déjà 6 romans, tous publiés chez P.O.L.) campe son histoire dans le Jura, région peu exploitée dans la littérature, ce qui nous détourne des grands centres urbains, bien que certains passages du livre se déroulent aussi à Lyon. Quel apaisement, quel plaisir de lire sur un monde et un territoire si peu explorés. Certains des plus beaux passages du livre décrivent les sorties que le narrateur fait dans la montagne, ou les paysages de ce Jura qu'on devine ancré dans le cœur de l'auteur.
Par ailleurs, le narrateur appartient au monde des "précaires", des "temporaires", de l'intérim et des contrats à durée déterminée. Par choix. Mis à part un contrat qui dure plus longtemps, lorsqu'il travaille pour la boulangerie Paul, une chaîne bien connue en France, et son activité de photographe, qu'il pratique toute sa vie comme une passion, et qu'il transforme en activité lucrative plus tard, tous ses emplois ne sont qu'alimentaires. Cela lui convient, lui donne la liberté dont il a besoin. Pierric Bailly décrit ce monde avec beaucoup d'amour. Tous ceux qui ont eu des emplois d'intérimaires ou des petits contrats durant leurs études ont connu ces personnes, souvent laissés pour compte de la société, dont on parle peu, que ce soit aux infos ou dans la littérature.
« Je continuais à alterner entre des missions d'intérim et quelques CDD courts, jamais de plus de trois ou quatre mois. L'avantage c'était que je pouvais relâcher quand je le voulais, si j'avais besoin de souffler un mois ou deux ce n'était pas du tout un problème, il suffisait que je l'annonce à l'agence et on me laissait tranquille jusqu'à ce que je rappelle. À côté de tous mes collègues éphémères, tous ces types qui passaient plusieurs dizaines d'années dans une même boîte, je n'étais pas à plaindre. Je n'ai jamais voulu d'un CDI, pour moi l'intérim a toujours été synonyme de liberté. On me demandait parfois si la précarité ne me pesait pas, et puis les boulots de merde, l'usine, tout ça. [...J]'avais fini par m'adapter, par me conformer à ce mode de vie, par accepter que c'était ma manière à moi de gagner de quoi bouffer. Faut dire aussi que toutes les missions ne se valaient pas. Faut vraiment être un nanti pour s'imaginer que l'usine c'est forcément l'enfer. » p.88-89

Le roman se déploie donc sous ces trois aspects : l'aspect social, l'aspect territorial et l'aspect humain (incluant les relations amoureuses et les relations parents-enfants vues sous différentes formes). L'auteur y ajoute quelques éléments dramatiques, qui, loin d'alourdir le texte ou la trame, apportent exactement ce qu'il faut d'émotions et de véracité. Ce roman m'a fait pleurer à plusieurs reprises, il nous touche par l'humanité profonde qui s'en dégage. La fin est particulièrement poignante concernant la relation d'Aymeric et de Jim. Il prouve avec force que l'attachement filial peut se développer sans liens de sang, et peut même largement dépasser ceux-ci.

« Quand je parlais avec ma sœur ou avec mes potes je prétendais l'aimer comme si c'était mon fils. Je voulais bien croire que la formule était un peu creuse, mais ce que je ressentais pour lui était tellement fort que je ne voyais pas comment ça pourrait l'être encore plus. Il me bouleversait, ce gamin. » p.74
Pierric Bailly mélange les niveaux de langue, racontant son histoire dans un style direct, réaliste, agrémenté de quelques jurons et d'expressions françaises bien senties et parsemé de poésie ici et là, de quelques envolées souvent en lien avec les paysages. On sent dans tout le texte beaucoup d'empathie de la part de l'auteur pour ses personnages. Le personnage central dégage lui aussi beaucoup de bienveillance, qui rassure et fait du bien.

Le roman de Jim, Pierric Bailly, Éditions P.O.L., 254 pages
[Merci F. de m'avoir conseillé ce livre!]

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Compléments : 

La page de l'éditeur avec quelques articles recensés

Une rencontre avec Pierric Bailly, organisée par La maison de la poésie de Paris

Humeur musicale : Flore Laurentienne, La fin et le commencement (Costume Records, 2022)