C’est ce que suggère cette Commission d’experts sur “la valeur de la mort”, au 21è siècle, et qui appelle à replacer la mort dans le cours normal de la vie. Les experts qui publient leurs arguments dans le Lancet, mettent en garde contre la surmédicalisation croissante de la fin de vie, et appellent à repenser radicalement la façon dont la société prend soin des personnes mourantes.
« L'histoire de la mort au 21e siècle est une histoire de paradoxe. Alors que de nombreuses personnes sont surtraitées dans les hôpitaux avec des familles et des communautés laissées de côté, d'autres personnes restent encore sous-traitées, meurent de maladies évitables et sans accès aux analgésiques de base », écrivent les experts de cette Commission internationale (St Christopher's Hospice, UK Health Alliance on Climate Change (Londres), Université de Sheffield, Bristol Medical School, Harvard T H Chan School of Public Health (Boston) et Université de Beijing).
Composée d’experts de la santé et des services sociaux, des sciences sociales, de l'économie, de la philosophie, des sciences politiques, de la théologie, du travail communautaire, ainsi que de patients et de militants, la Commission a analysé la façon dont les sociétés du monde entier perçoivent la mort et apportent les soins aux personnes mourantes.
« Une image déséquilibrée et contradictoire de la mort et de l'agonie »
C’est ce que dépeignent ces experts, qui dénoncent d’un côté l’accent excessif mis sur les traitements agressifs pour prolonger la vie et les grandes inégalités mondiales dans l'accès aux soins palliatifs qui imposent à des millions de personnes des souffrances inutiles en fin de vie.
Plusieurs observations s’imposent pour les auteurs et motivent aujourd’hui leur prise de position :
- la pandémie de COVID-19 a entraîné des décès hyper-médicalisés et chez des patients en soins intensifs privés de toute communication avec leurs familles : « La pandémie de COVID-19 a induit la mort médicalisée de nombreux patients souvent dans une grande solitude », relève le Dr Libby Sallnow, consultante en médecine palliative au St Christopher's Hospice et à l'University College London (UCL). « La façon dont les gens meurent a radicalement changé au cours des 60 dernières années, passant d'un événement strictement familial avec un soutien médical occasionnel à un événement hyper-médicalisé avec un soutien familial limité. Une refonte fondamentale est nécessaire dans la façon dont nous prenons soin de nos mourants et dans la relation que nous entretenons avec la mort ».
- les progrès technologiques et médicaux ont entretenu l'idée selon laquelle « la science est plus forte que la mort », ce qui entretient une dépendance excessive des usagers de santé aux interventions médicales et réduit encore le rôle de soutien possible des familles et des communautés ;
- nos sociétés occidentales privilégient massivement l’objectif d'éviter la mort plutôt que de réduire les souffrances inutiles : trop de personnes dans le monde meurent d'une mort douloureuse ;
Une nouvelle vision de la mort et de l'agonie ? C’est ce que propose « d’installer » la Commission d’experts progressivement dans nos sociétés tout en favorisant une plus grande implication de la communauté, en développant des services de santé et de protection sociale de proximité et des interventions de soutien au deuil.
- Modifier l’image de la mort passe par l’accès généralisé aux soins palliatifs : Dans le même temps, il s’agit de modifier l’image de la mort en améliorant la connaissance de ses mécanismes et en luttant contre les inégalités généralisées qui perdurent tout au long de la vie. Ainsi, les auteurs relèvent que les systèmes de santé et sociaux du monde entier ne parviennent pas à fournir des soins appropriés et compatissants aux personnes mourantes et à leurs familles. Selon la commission, l'accent actuel mis, dans certains pays, sur les traitements agressifs pour prolonger la vie, alors que d’autres n’ont pas accès aux soins palliatifs.
- Cependant cet accès aux soins palliatifs ne doit pas cantonner la vision de la mort à une approche étroite et médicalisée mais l’élargir avec le soutien communautaire, des services de santé et de soutien aux personnes en fin de vie -et à leurs familles.
Vivre plus longtemps mais vieillir en bonne santé : l'espérance de vie dans le monde a augmenté de manière continue, passant de 66,8 ans en 2000 à 73,4 ans en 2019. Mais cette hausse d’espérance de vie s’est accompagnée d’années de vie supplémentaires en mauvaise santé, le nombre d'années vécues avec une incapacité passant de 8,6 ans en 2000 à 10 ans en 2019. Aujourd'hui, la majorité des décès sont dus à des maladies chroniques, avec un niveau élevé d'implication des médecins et de la technologie. L'idée que la mort peut être vaincue est encore un peu plus alimentée par les progrès de la science et de la technologie et le recours croissant aux interventions médicales en fin de vie.
- Le progrès mais l’humanité aussi : sans discuter le rôle clé des progrès dans les soins de santé, les experts soulignent l’éloignement croissant des familles et communautés de la fin de vie de leurs aînés : le langage, les relations et la confiance nécessaires pour soutenir et gérer la mort se sont lentement dissipés, favorisant encore la dépendance vis-à-vis des systèmes de santé. Les conversations sur la mort sont devenues moins naturelles, plus difficiles et plus inconfortables, se produisant trop souvent en temps de crise, lorsqu’elles se produisent.
« Nous allons tous mourir.
La mort n'est pas seulement ni même toujours un événement médical. La mort est toujours un événement social, physique, psychologique et spirituel et lorsque nous la comprenons comme telle, nous valorisons plus justement chaque proche dans son rôle d’accompagnement » explique l’un des auteurs, Mpho Tutu van Furth, prêtre à Amstelveen (Pays-Bas).
Vers une mort sans souffrance : dans le monde, trop de gens meurent encore d'une mort douloureuse. Plus de la moitié de tous les décès surviennent sans soins palliatifs ni soulagement de la douleur.
Les inégalités sanitaires et sociales persistent jusque dans la mort.
Dans certaines régions du monde, l’attention à la souffrance est « minimale ». Dans d’autres pays, une culture médicale exacerbée, la peur des litiges et les incitations financières contribuent également au surtraitements en fin de vie. Ainsi, dans les pays à revenu élevé, entre 8 % et 11,2 % des dépenses annuelles de santé pour l'ensemble de la population sont consacrées aux moins de 1 % qui meurent cette année-là.
Une nouvelle vision de la mort : « Mourir fait partie de la vie, mais est devenu invisible, exempt de dignité et souvent douloureux. Un rééquilibrage fondamental de la société est nécessaire pour reconstruire notre relation avec la mort », conclut le Dr Richard Smith, coprésident de la Commission, qui propose ici de nouveaux principes pouvant régir notre relation avec la mort :
- les déterminants sociaux de la mort et du deuil doivent être gommés pour permettre l’égalité d’accès à une vie plus saine et à une fin de vie plus équitable ;
- la mort devrait être entendue comme un processus relationnel et spirituel plutôt que comme un simple événement physiologique et médical, et la connexion et la compassion devraient être réhabilitées dans le soutien des personnes en fin de vie, ou en deuil ;
- les réseaux de soins palliatifs devraient accueillir les familles, les membres de la communauté au sens large au même titre que les professionnels de santé ;
- les conversations sur la mort doivent être élargies pour améliorer l’implication des communautés, ouvrir le débat et motiver des actions publiques plus larges ;
- la mort doit être reconnue comme ayant une valeur « Sans la mort, chaque naissance serait une tragédie ».
« Prendre soin des mourants, c'est vraiment donner du sens au temps qui reste.
C'est un temps pour atteindre le confort physique; pour parvenir à l'acceptation et faire la paix avec soi-même; pour l’affection ; pour réparer les relations brisées et en construire de nouvelles. C'est un temps pour donner de l'amour et recevoir de l'amour, avec dignité. Les soins palliatifs respectueux facilitent cela. Mais cela ne peut être réalisé qu'avec une large sensibilisation de la communauté et une action pour changer le statu quo », écrit ici le Dr M.R. Rajagopal, Pallium India, Inde.
Le rôle clé des politiques : les décideurs politiques, les systèmes de santé et de protection sociale, la société civile et les communautés ont donc un rôle clé à jouer, en particulier en optimisant l’accès à :
- l'éducation à la mort, au mourir et aux soins palliatifs,
- au soulagement de la douleur,
- à l’expression « quotidienne » sur la mort et le deuil,
- aux réseaux de soins palliatifs,
- aux interventions médicales possibles, afin de permettre des décisions plus éclairées.
Source: The Lancet 31 Jan, 2022 DOI: 10.1016/S0140-67362102314-X Report of the Lancet Commission on the Value of Death: bringing death back into life
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Équipe de rédaction SantélogFév 6, 2022Rédaction Santé log