"Cher Mister C.,
Il y a ces choses qui n'ont jamais été dites, que je n'ai jamais exprimé. Tu fus mon premier homme, je n'étais pas la première. Je suis tombée amoureuse comme si j'étais droguée ou envoûtée. Tu m'as agacée, énervée et pourtant, tu étais le premier homme à qui j'osais me confronter. Petit à petit, tu as brisé mon armure, abattu toutes mes résistances.
C'était il y a si longtemps.
J'ai repensé à notre première nuit, que j'ai tenté d'effacer de ma mémoire. Elle m'a longtemps hantée. Dans certaines circonstances, elle se rappelait à mon souvenir. J'ai réalisé très tard ce que ça avait été. Oui, j'étais à côté de toi, endormie, et non je ne voulais pas. Je ne voulais pas être réveillée comme ça. Je ne voulais pas que ma première fois se déroule de cette manière aussi impersonnelle, brutale, douloureuse. Tu m'as ensuite amenée à la salle de bains, j'ai l'impression de me rappeler d'un mauvais film, où la frontière entre consentement et viol n'est pas claire.
Car j'étais sous ton emprise. Complètement. J'ai passé des heures à penser à toi, à errer sous la pluie dans le quartier, à attendre fébrilement l'heure de te rejoindre, à sentir mon coeur battre la chamade dès que je recevais l'un de tes messages, à attendre le prochain avec impatience. A sourire, beaucoup, à pleurer, encore plus.
J'étais prise d'une passion dévorante pour toi, j'ignorais ce que c'était à l'époque, si cela était "normal" lorsqu'on tombait amoureux. Je ne savais pas. Tu avais du charme mais tu n'étais pas "mon genre". Je suis pourtant tombée désespérement amoureuse de toi, en dépit de ta suffisance, ton égoïsme, ton non-amour. Je m'en doutais mais je ne pouvais m'empêcher de ressentir une attraction irrépressible envers toi. Et j'espérais secrètement que je me trompais. Rien ne faisait sens.
J'écris ces mots objectivement aujourd'hui. Il y a quelques années, j'aurais été en larmes, fébrile, tremblante. Pas aujourd'hui. Ton indifférence totale de mes sentiments a fini par rompre irrémédiablement le lien que j'ai ressenti pour toi encore plusieurs années après mon départ. Alors que tu m'annonçais au téléphone un nouveau bonheur dans ta vie (pourquoi répondais-je encore au téléphone après tout ce que j'avais traversé ?), j'ai soudainement pris conscience que je n'en avais jamais été un pour toi, que tu étais encore et toujours imperméable à ce que je pouvais ressentir. Je devais encore supporter ton bonheur avec d'autres que moi. Tu t'es excusé par écrit il y a quelques années. J'ai lu et oublié.
Je me suis targuée depuis de ne plus jamais être dépendante sentimentalement de qui que ce soit. Tristement ou pas, j'y suis en quelque sorte parvenue. La passion amoureuse telle que je l'ai vécue (pas de généralités) est avilissante et destructrice, et est la cause de nombreux vices. L'amour véritable n'est pas supposé être cela. L'amour est un don, un don de soi, qui ne devrait susciter ni la jalousie, ni l'envie, ni la colère, ni la possession, ni l'avilissement. Aimer quelqu'un, c'est vouloir son bonheur, indépendamment de soi-même. Aimer est le contraire de l'égoïsme.
Je ne t'en veux plus Mister C.
Je choisis aujourd'hui de conserver uniquement les souvenirs merveilleux - biaisés ou pas - qu'une adolescente aimerait garder de son premier amour.
Lady/Fräulein H."