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du fil inégal du temps
j'écrivais cela mardi matin
alors que je me réveillais à sept heures
et que je commençais à travailler à huit
et qu'avoir été à la campagne
je serais quand même sortie prendre une marche
jusqu'en haut et même au lac
avant de rentrer
vers sept heures cinquante
ouvrir mon ordinateur
et me présenter
échevelée
à huit heures du matin
avec l'intention de prendre une douche rapide
quand deux minutes me le permettraient
au milieu des courriels du matin
mais qu'en ville
non
cela n'était pas possible
en ville
non
il fallait que je sois prête
plus que prête
pour être au poste
lavée cafféinée et rugissante
à huit heures pile
sans break jusqu'à la pause
de la mi-matinée
j'avais ressenti cela aussi
lors de notre dernier retour en ville
en janvier après quelques jours de séjours
au chalet pour la fin de l'année
le temps est comprimé lorsqu'on est en ville
alors qu'il s'étire lorsqu'on est à la campagne
la raison en est fort simple
il n'y a rien à faire au chalet
on ne sort pas prendre un café
ni pour aller au restaurant
on n'a même jamais essayé
de se commander un take-out de bouffe
ça doit pas y aller
on ne sort pas faire l'épicerie en semaine
car cela prend une demi-heure en auto
même avec une liste courte et prête
et une quasi-connaissance
du merchandising du iga de chertsey downtown
je ne sors pas faire des emplettes rapides
au marché oriental
au fournisseur de matières premières ecolo
à l'épicerie zéro-déchet
ou la salumi italienne
je ne prends pas une marche
pour aller jeter mes piles mortes
dans la benne du home depot
en passant par la track des carrières
je ne pars pas de brassée de lavage
je ne dépose pas un loyer au guichet de la caisse pop
je ne vais pas au bureau de poste
je n'imprime pas un contrat de réparation
je ne scanne pas un document signé
je ne vide pas ma boîte aux lettres
l'homme-chat ne cherche pas une clé de rechange
pour la locataire du troisième
qui s'est embarrée
il ne sort pas pelleter
en même temps que le locataire du deuxième
en jouant à la guerre des tuques
il ne monte pas changer une batterie
de détecteur de fumée qui fait bip bip
aux cinq minutes
bruit que la locataire de l'autre troisième
pense être un calorifère brisé
il n'appelle pas un électricien en urgence
pour réparer le calorifère
de l'autre deuxième qui est vraiment brisé
il ne débouche pas un évier de cuisine
il ne change pas un robinet
bref
à la campagne
on n'est pas en mode gestion
alors qu'en ville
tous les déplacements ont un but
à la campagne
je sors presque toujours
pour prendre l'air
et rien d'autre
j'ai donc le temps de regarder le ciel
les arbres
la neige
et tout le reste
au chalet
on n'a que quelques projets de décoration
ou réparations mineures
parce que les majeures dépassent nos compétences
et que notre seul mandat
est de trouver des experts
qui feraient cela le plus rapidement
le mieux et le moins cher possible
au chalet la connexion internet
ne permet pas
que je saute d'une visio-conférence à une autre
je ne planifie pas de rencontre dans mon outlook
je planifie mon travail
pour le faire en solo
lentement et mentalement
pour ne pas trop solliciter le système
et quand je rentre en ville
je travaille vite et sans relâche
à la campagne
donc
il n'y a rien à faire
que tricoter
jouer dehors
faire à manger
jouer au billard
étudier
lire
et profiter du temps qui passe
à la campagne on est en mode décompression
la lenteur compense
la rapidité et l'essoufflement de ma vie
c'est un parfait équilibre dont j'avais grand besoin
après toutes ces années à n'être que dans l'action
je fais face à mon impatience
quand l'internet lent paralyse
mon urgence de performer
elle m'oblige à me poser
à réfléchir ou contempler
mais bien entendu
cela me prend les deux
l'utilisation du temps
en grande vélocité
et en grande couverture
dans toute sa visco élasticité
dans son inégalité.