Critique de Berlin Berlin, de Patrick Haudecœur et Gérald Sibleyras, vu le 27 janvier au Théâtre Fontaine
Avec Anne Charrier, Maxime d’Aboville, Patrick Haudecœur, Loïc Legendre, Guilhem Pellegrin, Marie Lanchas, Claude Guyonnet, Gino Lazzerini, mis en scène par José Paul
Quand j’ai découvert le générique de ce spectacle, j’ai été pour le moins surprise : réunir José Paul et Maxime d’Aboville pour un même projet théâtral, c’était vraiment une chose à laquelle je ne m’attendais pas. Issus d’univers très différents, ce sont deux artistes que j’affectionne particulièrement et que je suis depuis plusieurs années. C’est donc non sans un soupçon de crainte mais surtout avec une grande curiosité que j’ai découvert ce Berlin Berlin au thème au moins aussi inattendu que la réunion des deux créateurs. Inattendu… et réussi.
Nous voici à Berlin Est avant la chute du mur, chez Werner Hofmann, agent de la Stasi, qui engage Emma pour s’occuper de sa vieille mère. Seulement, Emma n’est pas l’aide-soignante qu’elle prétend être, mais une jeune femme qui souhaite passer à l’Ouest avec son compagnon et qui a appris que l’entrée d’un souterrain secret se fait dans l’appartement de cet agent du contre-espionnage. Déjà, comme ça, ça sent déjà pas super bon, mais ajoutez à ça le coup de foudre de Werner pour Emma, et la découverte du voisin-espion pour les américains, et vous comprendrez que tout tourne rapidement en eau de boudin.
Je n’avais rien lu sur le spectacle, mais en grande perspicace que je suis, je me doutais un peu qu’il y aurait de la Stasi dans l’affaire. J’ai d’abord eu un peu peur que derrière Berlin Est, sa pauvreté, son communisme, se cache l’excuse d’un spectacle au rabais. Pas du tout, au contraire : cette atmosphère de privation est un vivier de blagues étonnantes, politiques mais pas que. Cela permet de renouveler le genre et c’est vraiment chouette ! Le scénario est tellement original – comprendre : rarement vu dans une comédie au théâtre – qu’on ne sait pas du tout où on va, et on se surprend à suivre l’histoire avec attention, au-delà même de l’attente de l’effet comique. Loin d’un classique le mari, la femme, l’amant, ici on est dans l’inconnu et cette fraîcheur est bienvenue. Et comme la Stasi se cache dans les détails, on appréciera particulièrement le fait que les a-côté, toutes ces choses qui existent sans faire avancer l’action, ne sont jamais de trop. C’est fait avec finesse, mais avec suffisamment de doigté pour provoquer un vrai rire franc qui fait du bien.
Au-delà du texte, le spectacle fonctionne aussi grâce à une mise en scène bien ficelée et une distribution de choix. L’ouverture est particulièrement réussie, avec un effet vidéo d’une rare efficacité ! Les décors sont malins, l’intermède pendant le changement est bien mené, le rythme est bien en place même si on pourrait resserrer un peu la deuxième partie. Il faut dire que l’équipe ne se ménage pas. On attendait de voir ce que donnait Maxime d’Aboville dans le registre comique, on n’est pas déçu : si on retrouve de la noirceur dans la composition de son personnage, il la met cette fois au service du ridicule pour un résultat burlesque qui fonctionne à merveille. Anne Charrier a su trouver l’équilibre parfait pour rendre cette action suicidaire réaliste et mène son personnage avec beaucoup de finesse. Dans un style plus brute de décoffrage, Marie Lanchas est une membre de la Stasi épatante, bourrue à souhait. Patrick Haudecoeur campe un mari ahuri et lâche tout à fait exquis même s’il a pu avoir une légère tendance à se faire plaisir en tant que coauteur de la pièce.
Pas de rationnement de rire pour ce Berlin Berlin, c’est généreux et drôle, on y court !