Depuis Alien : Covenant, je m’étais juré de ne plus voir les nouveaux Ridley Scott. Je tins bons presque cinq ans. Jusqu’à ce que sorte Le Dernier duel, auréolé de critiques dithyrambiques. Je fis une exception à mes principes ; et grand bien m’en fit.
En quête de vérités
À la différence des colossaux mais creux Prometheus et Alien : Covenant, Le Dernier duel opère un retour à l’humain, comme Seul sur Mars (2015) en son temps. Vu le budget engagé (100 millions de dollars), on reste certes loin d’un film intimiste. Cependant, on note que Scott lui-même tacle les clichés qui l’entourent. Lui qu’on connaît bien depuis Gladiator pour ses combats épiques s’amuse à réduire les rares scènes de bataille à des fragments brutaux et sanglants, d’à peine une ou deux minutes. En contrepoint, il réserve le beau rôle au dernier duel judiciaire français promis par le titre, auquel il accorde une bonne quinzaine de minutes à la toute fin du film.
Mais l’essentiel n’est pas là. La grande majorité du film se compose de flash-backs. Construit à la manière de Rashomon, le dernier Ridley Scott cherche à traquer la vérité qui sourd de la parole humaine. Ou plutôt, les vérités. Car l’intérêt n’est pas tant de se montrer minutieusement factuel que de percevoir le monde à travers les représentations des trois personnages principaux. Ainsi, la scène de viol centrale, au fondement du duel judiciaire, est perçue complètement différemment par Jacques Le Gris (Adam Driver), qui n’y voit qu’un plaisir mutuellement partagé, et Marguerite de Thibouville (Jodie Comer), qui la vit bien autrement. De même, si Jean de Carrouges (Matt Damon) s’estime un parfait gentilhomme envers son épouse, celle-ci ne l’envisage pas de la même manière.
Penser avec l’Histoire
Toutefois, Ridley Scott évite un écueil crucial au vu de son sujet, si vieux et pourtant d’actualité : réécrire l’Histoire selon les valeurs du temps présent. Bien évidemment, choisir un sujet recoupant les problématiques d’émancipation féminine et de violence sexuelle masculine n’a rien d’anodin. Mais Scott le traite sans contrefaire l’Histoire, en s’appuyant sur les sources à sa disposition. À la différence de Mary Stuart, reine d’Écosse qui, trouvant la Grande-Bretagne du XVIe siècle trop blanche et masculine à son goût, n’hésitait pas à peupler le monde à sa façon, Le Dernier duel essaye, comme La Favorite, de penser à travers les outils conceptuels de l’époque qu’il représente – en l’occurrence, le XIVesiècle français, en pleine Guerre de Cent ans. À la question de la justice féminine s’ajoutent alors celles de la revanche de son mari, petit seigneur humilié par son suzerain (Ben Affleck), du conflit de loyauté des Carrouges entre le comte d’Alençon et le roi de France, de la partialité des cours de justice privées ou encore du rôle fondamental du plaisir féminin dans l’acte reproductif, selon la théorie médicale alors en vigueur.
En somme, Le Dernier duel rappelle, si besoin est, qu’on ne pense pas la réparation des violences sexuelles masculines de la même manière à travers les époques. On réfléchit et on agit toujours depuisun certain point de vue et dans un certain contexte ; les problématiques pour lesquelles on milite aujourd’hui ne flottent pas de toute éternité dans un éther déconnecté de toute réalité. Ceci étant, une fois ressuscitées les conditions matérielles d’une époque, on peut penser, à partir d’elles, comment s’émanciper. Au XIVe siècle, les femmes pouvaient ainsi contrôler la procréation et gérer des terres en l’absence de leur mari, souvent à la guerre ou en mission ; mais il fallait à l’inverse se méfier de la justice, trop encline à la juger coupable avant même qu’elles n’aient parlé.
Autant d’exemples à méditer pour les comparer à notre situation actuelle.
Maxime
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