Alors que le minage de cryptomonnaies (le traitement informatique distribué qui permet leur fonctionnement) engendrerait aujourd'hui 0,6% de la consommation énergétique mondiale, un représentant d'un organe de supervision européen appelle à une interdiction, dans le sillage de mesures similaires prises dans différents pays (Chine en tête).
En l'occurrence, Erik Thedéen, vice-président de l'ESMA (autorité des marchés), adopte une position qui se veut relativement modérée, en suggérant de proscrire uniquement le mécanisme extrêmement énergivore de « preuve de travail » mis en œuvre par les principales cryptomonnaies, à l'exclusion de toute intervention sur les instruments eux-mêmes. En effet, sa préoccupation concerne avant tout l'impact de ces technologies sur la production d'électricité, notamment dans son pays d'origine, la Suède.
Quoi qu'en disent quelques fanatiques, le problème est réel et il se déplace au fur et à mesure de l'émergence de contraintes réglementaires. D'un point de vue purement économique, le principe du minage consiste simplement à transformer en bitcoins (ou autre pseudo-devises), possédant une valeur marchande donnée, l'électricité qui alimente des milliers de calculateurs dans ce seul but. Les installations sont donc d'autant plus rentables qu'elles ont accès à une source d'énergie la moins onéreuse possible.
Au fil de la croissance de popularité et de la montée des cours, ce qui n'était initialement qu'un hobby marginal est devenu une véritable industrie, au point d'alerter au plus haut niveau dans les pays concernés. Et quand l'un réagit, en imposant des restrictions, la production se déplace dans le suivant, qui doit y faire face à son tour. Pour certains, l'inquiétude relève d'un danger de pénurie. Pour d'autres, dont notre responsable européen, il s'agit surtout d'enjeux environnementaux (soit via les émissions directes de gaz à effet de serre, soit par une perception de dilapidation de ressources).
Pourtant, la prohibition est-elle la solution ? Certes, elle mettrait fin à ce que je considère fondamentalement comme une aberration : en prenant un raccourci, il paraît totalement délirant de laisser perdurer un système encourageant la destruction de notre écosystème planétaire. Mais qu'en est-il des autres activités humaines (jeux vidéos, réseaux sociaux, tourisme, métavers, spéculation financière…), aussi futiles, qui ont les mêmes conséquences, et dont personne n'envisage sérieusement de contester la légitimité ?
Peut-être la dégradation du climat imposera-t-elle un jour d'instaurer des limitations drastiques sur la destination de l'énergie mise à notre disposition. Cependant, il est peu probable que, dans cette hypothèse, l'élimination de la preuve de travail du bitcoin soit suffisante pour résorber les risques. A contrario, et en attendant, la proposition d'Erik Thedéen ouvre une boîte de Pandore étourdissante autour de cette notion générale d'utilisations autorisées (qui pourrait aussi se traduire par des prix différenciés).
Avant de s'engager dans une telle direction, le plus raisonnable serait que tous les acteurs des monnaies virtuelles, des crypto-actifs, des NFT…, depuis les dirigeants de startups spécialisées jusqu'aux petits investisseurs (souvent ignorants des coulisses de leur passion), arrêtent de nier la réalité à coups d'arguments fallacieux et prennent conscience de l'ampleur du défi global à relever. Ils rejoignent en cela tous les groupes corporatistes qui ne veulent pas changer leurs habitudes et préfèrent pointer le voisin du doigt.