Par Cébéji, préfacé par Guillaume Meurice
Je vous livre ici un extrait du début du livre, enjoy
Prolégomènes à tout (chapitre 1)
Lou Manitey, village de Provence, onze heures treize voire quatorze selon le fuseau horaire en vigueur.
Dans la banlieue lointaine de ce hameau où le calme emplit la voûte nimbée d’un ciel orageux, une automobile banale roule dans la bonne direction. A son bord, une famille, la famille Assin, d’origine populaire ; une petite fille, un jeune garçon de huit ans et leurs parents composent cette association à responsabilité illimitée qu’est la famille.
Leur voiture s’arrête timidement sur le bon côté de la chaussée. Bob Assin s’extrait le premier du véhicule, c’est un homme de taille moyenne, deux yeux marron, mal rasé et à l’air compressé.
Il part aussitôt à la recherche d’un arbre puis s’exécute. Ensuite vient Madame Assin, dite Josiane, qui, elle, a un large point de vue sur son corps. Enfin, la petite dernière arrive.
Madame et ses enfants s’installent sur l’herbe encore fatiguée des contraintes de la journée. Parti épancher sa soif d’engraisser la nature, Marc disparaît dans les arbres mouvants, Marc, le jeune garçon de huit ans qui était dans la voiture.
Le tableau est simple :
une voiture, une table de tissu sans pieds sur laquelle repose une mère et sa fille et la vaste forêt enveloppant nos deux compères masculins.
Maman Assin prépare le couvert pour trois personnes et naturellement étale des spécialités charcutières sur la nappe dégoûtée. La petite piaille demandant sa grasse pitance. Papa Assin, qui, comme tous ceux qui possèdent des oreilles saines et peu chargées, entend les incongruités de sa progéniture ; cet appel l’enjoint à ranger feu ses artifices après inventaire dans la poche kangourou et à sceller le tout en une fermeture « éclair ».
Il gagne la table après s’être essuyé la main droite sur une feuille apparemment adéquate.
– Ah, Chéri ! s’exclame Madame Assin, tu arrives à temps pour couper le saucisson !
D’un geste fier et démonstratif , il ouvre un tiroir de son blouson-établi pour en tirer un opinel n°3, le 5 était trop cher. Il s’assure de la bonne efficacité de la lame en tranchant héroïquement un brin d’herbe qui avait l’audace de lui résister ; en professionnel de la découpe du saucisson, il distribue les tranches perdantes de cette loterie, admire la nouvelle couche de graisse qui se superpose aux précédentes puis range son outil tel quel.
– Il est vraiment bien ce couteau, exprime t-il avec contentement.
– Chéri, dit la femme, que c’est y qui fait ton rejeton ?
– D’abord, ce n’est pas mon rejeton mais le tien, ensuite je sais pas ce qu’il fait mais ce que je sais, c’est qu’il me tape sur le système, le môme ! Déjà qu’il arrête pas de nous dire comment qu’il faut parler, qu’il est soi-disant un petit prodigue d’après ses profs et qu’on devrait le mettre dans une école exprès pour lui. Ces gens là, ils comprennent rien à rien, ils croivent qu’on trouve l’argent sous les pieds de cochon ; ce qu’il y a c’est que ces gens veulent nous susurrer jusqu’à la moelle et ils se servent du petit pour nous emmerder.
Si ça se trouve, on ferait bien de le laisser tomber ce mioche, il est trop cher.
Regarde la mignonnette, elle nous fait pas chier, elle est comme son papa, elle mange son saucisson tranquille… essuie-toi la bouche ma fifille.
– T’as raison, reprend la femme Assin, faut qu’on pense à tout ça.
En cet instant de mutilation mentale, à cent mètres de là, le jeune Marc Assin marche dans les fougères à la recherche de caresses. Il s’assoit, contemple le spectacle le plus harmonieux qui soit :
la nature chérissant les moindres détails des êtres et des choses qui la composent en une symphonie éphémère à l’infini.
La poche de sa veste laisse entrevoir un livre qui lui demande lecture ; Marc répond à cette instance et saisit l’ouvrage, heureux de son sort. Il le parcourt rapidement mais son esprit est ailleurs. Finalement il range le recueil déçu et entame une marche solitaire en quête de quête. La mine bohème, il rêvasse, exerce sa vue perçante au travers des mires que forment les broussailles. Soudain, un chant particulier l’émeut ; Marc en trouve l’origine dans une pie qui a pris perchoir à quelques pas de lui. Il ne réagit pas tout de suite en regardant le bel oiseau et pourtant cette pie est bleu turquoise ; pour lui, c’est normal.
Autour de la table champêtre, le déjeuner s’achève. La digestion prend la relève, offrant un nouveau spectacle ineffable à la splendeur inégalée se traduisant par des gestes en tout genre ; des bruits diffus, des onomatopées, des mouvements absurdes organisent sans règle cette procession de foie.
– J’ai deux trois choses à faire, explique brièvement le père Assin.
Il se lève péniblement, puisant toute sa force dans un élan virtuel qui pourtant manque de le renverser. Les pieds rivalisant d’intelligence chez cette race d’homme, se doublent l’un l’autre dans une course effrénée jusqu’à la voiture. A priori, le gauche a gagné juste avant le choc contre la roue à jante large équipée de pneu « neige ». Le reste du corps de Monsieur Assin éveillé par l’émoi doute :
– Quelles étaient les deux, trois choses à faire au juste ?
Ah oui ! se dit-il intérieurement avec l’écho imaginable d’une pièce vide.
Il ouvre une portière, la plus proche, et, à genou, sur le siège recouvert « peau de zèbre », tire la trappe de la boîte à gants sans prendre de gants. Il en exhume des autocollants sur lesquels on peut voir :
« J’écoute RTF », « le Périgord d’abord » et un autre, « le Bordeaux c’est trop ! ».
Il colle alors soigneusement ces adhésifs aux endroits prescrits et agréés par le CRAD (comité régional des automobilistes décorateurs).
A suivre
La Pie Bleue, Editions Encre Rouge