Injonction sociale : nous devons tous penser. Nous sommes des intellectuels. Cela vient, peut-être, de la prééminence de l'éducation, dans notre société moderne.
Elle nous donne en modèle des intellectuels, et nous voulons leur ressembler, quel que soit, d'ailleurs, notre niveau d'études.
Mais comment bien penser ? J'en suis arrivé à croire qu'il fallait procéder comme le thésard, ou le juge d'instruction. Se bâtir une conviction demande un travail fastidieux, long et méticuleux, intellectuellement rigoureux. Avec toutes les imprécisions assumées de cette définition, qui rendent l'exercice périlleux et inconfortable.
Seulement, paradoxalement, il y a peu de juges et de thésards parmi nous. Et, il n'est pas sûr que les juges et les thésards jouissent d'une déformation professionnelle qui les prédispose, pour d'autres sujets, à la pensée. En tout cas, l'Education nationale ne nous apprend pas à faire cette recherche. Elle nous dit qu'il y a le bien (ce qu'elle enseigne), et le mal (ce qu'elle condamne).
Du coup, penser est devenu capter les idées qui flottent. L'art du lobby est de parvenir à mieux faire flotter ses idées que celles des autres. En fait, il est possible qu'il y ait deux types d'idées flottantes, au moins. D'abord, celles qui guident, inconsciemment, nos décisions. Par exemple, je dois avoir une opinion sur tout. Ensuite, les idées du moment, qui doivent entrer en résonance avec les premières.
Enantiodromie : la société de la pensée est devenue la société de l'influence.