Pasolini et le poète
Les textes de Pasolini ont été écrits sur une période de presque vingt ans, ils sont suivis de deux recueils de Marin, puis, un an après la mort tragique de Pasolini en 1975, par treize poèmes de Marin pour Pasolini, nommés Litanie. Les belles préfaces de Feneyrou et Valensi fournissent des précisions détaillée indispensables à la compréhension de ce livre composé de textes qui tiennent ainsi parfaitement ensemble ainsi qu’à celle des relations poétiques entre les deux hommes, a priori si différents et pourtant proches.
Pasolini découvre la poésie de Marin à Grado, entre Trieste et Venise, un lieu où il reviendra souvent, il la déclare « une des plus belles, plus pures, plus passionnées de ces cinquante dernières années », il en aimait la dimension dialectale (pour lui sociale), la simplicité, l’universalité. La terre et les hommes, voilà peut-être ce qui les unissait le plus profondément même si l’engagement politique de Pasolini était bien plus important.
Il n’est pas question de cinéma mais de lecture et de critique littéraire, et un Pasolini très fin lecteur se montre ici.
Soutenu plus tard par Claudio Magris dans l’édition de ses poèmes après l’avoir été par Pasolini, Marin continuera d’écrire bien que la vie, comme on dit, éloigne un peu les amis l’un de l’autre. Pasolini mourra comme on le sait sur une plage à Ostie, Marin lui adresse alors des poèmes bouleversés.
Pasolini publie de nombreux articles sur Marin dont il comprend très intelligemment aussi bien la portée que la limite. Il fera aussi une anthologie de ses poèmes. Écrivant toujours la même chose sur la même chose, sans avoir peut-être la puissance d’un très grand qui permettrait un dépassement, Marin reste « bloqué ». De tout ce qu’il a vécu, et il y eut des évènements très durs comme la mort de son fils à la guerre, il fait une sorte d’ensemble que Pasolini nomme « la Négation : une chose mauvaise, horrible, injuste : la Mort ». Tout autant « simplifié, le rapport « radieux » avec le sens l’était. » « Distance et masque » dit Cacciari, quant à lui. Cela n’est pas péjoratif comme on pourrait le croire. C’est juste en ce sens que ce que fait Marin, il le fait bien, et avec une obstination rare, tournant, oui, toujours autour des mêmes thèmes. Monotone ? Cela est bien possible. Le dialecte en lui-même n’est pas très riche. Le tout fait de la répétition et consiste en leitmotivs. Une poésie du « peu », dit Pasolini qui dit aussi sa beauté. Seulement belle ? Peut-être. Cela fait déjà un chant, auquel Pasolini lui-même poète sera sensible. La douleur de Marin est exprimée comme en surface, cependant tout le temps réitérée par la poésie. Celle-ci n’est pas minérale et pourtant ressemble à une pierre par sa dureté, son immobilité, sa présence massive et muette.
Ce qui semble une critique de la part de Pasolini est en même temps exactement ce qui fait la grandeur simple des poèmes de Marin, et Pasolini le sait aussi. Au fond peu de commentaires à faire et il en est ainsi de certains poésies, mais la lecture à elle seule ouvre sur une beauté non négligeable.
Massimo Cacciari dans sa première étude analyse très bien le fond de la poésie de Marin et les grandes différences entre Marin et Pasolini, chez qui, notamment mais ce n’est vraiment qu’un exemple, le corps est tellement brûlant, et plutôt effacé chez Marin. Dans la seconde, Poète lui aussi frioulan, que Cacciari transpose pour nous en « provençal », idée très intéressante et même formidable, Pasolini cherche dans le dialecte quelque chose comme le Verbe, avec « le génie du lieu, la quintessence du chant ».
Mais le commun entre eux est certainement le paysage et comme le dit Cacciari « le territoire ».
Isabelle Baladine Howald
Biagio Marin & Pier Paolo Pasolini, Une amitié poétique, traduit et présenté par Laurent Feneyrou et Michel Valensi, postfaces de Massimo Cacciari, Éditions de L’Éclat, 2022, 288 p., 20€
Composition précise du recueil sur le site de l’éditeur
Ils sont nombreux
Ils sont nombreux
et je suis seul :
ton rossignol
de chants désireux.
Une voix se fait onde
pour te dire le bien
quand le cœur est serein :
ils tirent à la fronde.
Amer jeûne
toujours ma pitance,
triste dans le ciel chaste
garder la bouche muette
Je chante comme roseau
Je chante comme roseau
déjà sec et ferme au bord du fleuve,
qui vibre au jeu de la tramontane
dans les nuits sans lumière.
Je chante comme un pin
les nuits de mai à la pleine lune ;
au milieu des branches bruisse le borin,
qui joue à la balançoire.
Quand le sirocco tendu et fort
avec la mer qui blanchit vient du large
je chante comme lui le chant tardif
solennel de la mort.