Un nouveau dossier de traductions inédites proposé par Jean-René Lassalle avec des textes de la poète Eleni Sikelianos. On trouvera une brève note de présentation après les traductions et les poèmes originaux.
Sois miellé de rooibos
Retire le poison
du Lac avec un suave
appât : trempes-y
des sachets de sucre & observe
les sirènes frissonner : telles
des Anges Robots elles se dressent
avec les yeux d’une imagination industrielle
Le ciel se reploie vers ses noirs
ossements & crochets ; nous pendons.
Puis-je entendre l’air déchirer
tout de nouveau – la vie
avec sa très privée histoire
mouvant particule après particule
À créer en nous une limpide
chemise, un clair lac, & de ma langue dardera
car je l’ai toujours dit
par mon vrai monstre humain
toi aussi tu seras miellé
en palindromes d’or
quand un train séparera
ton mal du bien
Source : Eleni Sikelianos : Body Clock, Coffee House Press 2008. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.
Be Honeyed Bush
Draw the poison
from the Lake with sweet
bait: dip in
sugar sachets & watch
the sirens quake: like
Robot Angels they rise
with eyes of industrial imagination
Sky rolls back to its black
bones & hooks; We hang.
Could I hear this air tear to see it
all again — life
with its private history
moving particle by particle
Create in us a clean
shirt, clean lake, & of my tongue shall sting
for I have always said
by my true human monster
you too shall be honeyed
in palindromes of gold
when the train divides
your wrong from right
Source : Eleni Sikelianos : Body Clock, Coffee House Press 2008.
-----------------------------
Essai : sept perspectives pour traire le temps
J’avais dans l’idée de bouger
mon genou gauche vers le kathénothéisme ou Calgary, adorant
un dieu à la fois
À l’intérieur, l’alphabet était un abolitionniste
Le feu était messager
fumée envoyée & cendre. Le message
: voulez-vous des ersatz scientifiques ou des ajouts créatifs : était :
: une question de mécanique céleste : combien de temps vous êtes-vous impliquée
dans la politique de la Terre ?
(ce message est : vide) la réponse est
toujours depuis que je suis dans mon point fort, mon fragile
calfeutrage des murs avec des bandages de lumière. J’ (puis-je
dire nous) es-
sayais d’aménager l’endroit, (nous) de
terminer la procédure, c’était
un problème architectural, un esprit / craché
(pouvait pas)
transformer cavalerie en Calgary puis calligramme
Chaque génération est-elle fragmentation supplémentaire ? Était-ce
Omégaville ? Je crois que le sujet est
un conquistador bâti de colle et pruneaux. Le Grand Carnaval de
Combustion, le Chat Colomb dansant dans les Flammes ; il y a
au coin des garçons blancs, même des fugueuses cherry-
bomb. Et seulement assez d’eau pour subvenir à
un A ou un B ; un garçon ou un grill
Il n’y eut pas assez d’eau pour éteindre un feu
Ils durent importer une rivière & faire un homicide d’Indiens Black-Foot. Qui/je déclare
qu’une saison est un arrangement suspendu entre ici et paradis
Mes héros démarrent au pollen des prés
& finissent dans le caniveau
Source : Eleni Sikelianos : Earliest Worlds, Coffee House Press 2001. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.
Essay : Seven Aspects of Milking Time
I had it in my mind to move
my left knee towards kathenotheism or Calgary, worshiping
one god at a time
In it, the alphabet was an abolitionist
Fire was a messenger
the smoke sent up & ash. The message
: Do you want scientific replacements or creative additions : was :
: A celestial mechanics problem : How long have you been involved
In Earth’s politics
(this message is : blank) the answer is
ever since I’m in my strong suit, my weak
spackling the walls with bandages of light. I (may I
say we) was
trying to fix the place up, (we) was
to finish the procedure, it was
an architectural question, a spirit / spit one
(could not)
change cavalry to Calgary to calligram
Is each generation a further fragmentation? Was it
Omegaville ? I think the thing is
a conquistador built of prunes & glue. The Grand Combustion
Carnival, Columbus the Cat Dancing in Flames ; there are
white boys on the corner and cherry
bombs. There was only enough water to support a
an A, or B; a boy or a grill
There was not enough water to put out a fire
They had to import a river & kill a bunch of Black Feet. Who/I declare
a season is an agreement that hangs between heaven and here
My heroes start out in the meadowdust
& end up in the gutter
Source : Eleni Sikelianos : Earliest Worlds, Coffee House Press 2001.
----------------------
Du vrai foyer humain
& je viens des vertébrés à crâne et corpus qui se cachent
dans la structure microscopique d’un os
& mes ostéoclastes le décomposeront & mes ostéoblastes le reconstruiront
& je tiens des chordés & endosquelette cachant en
une étoile les constructions de la poussière cette matière
& je suis des hominidés & anthropoïdes Voyez ma capacité cervicale de 2000 cm3
& ceci est l’atrium de mon cœur & l’a. de ma cavité tympanique
& voici ma veine hépatique
& ici mon capuchon oral
mon canal vestibulaire organe de Corti
mon larynx d’homo sapiens mont du pubis
& là mes aisselles axillaires lignes lactées le long de chaque flanc & je me cache
entre le singe de l’aube & la fission nucléaire
Si vous ne me trouvez pas au Lac de l’aegyptopithecus
Cherchez-moi sous Enfant à l’Hameçon, mon os-noir brûlant
ma pâle
échine
Source : Eleni Sikelianos : Earliest Worlds, Coffee House Press 2001. Traduit de l’anglais (américain) par Jean-René Lassalle.
Of the True Human Fold
& I am of the skull & corpus vertebrata hiding inside
the microscopic structure of a bone
& my osteoclasts will tear it down & my osteoblasts will build it back
& I am of chordata & endoskeleton hiding inside
a star the buildings of dust that stuff
& I am of hominidae & anthropoidea Look my 2000cc brain capacity
& this is my heart’s atrium & the a. of my tympanic cavity
& here is my hepatic vein
& here my oral hood
my vestibular canal organ of Corti
my homo sapiens’ larynx mons pubis
& here, my axillae armpits milk-lines along each side & I am hiding between
the dawn ape & nuclear fission
If you can’t find me at the Lake of the Aegyptopithecus
Look for me at Child of the Hook, my black-bone burning
my blank
spine
Source : Eleni Sikelianos : Earliest Worlds, Coffee House Press 2001.
Eleni Sikelianos est une poète californienne née en 1965. Dans sa jeunesse elle quitte les USA et voyage pendant 2 ans en Europe, Turquie, Israël, Afrique. Elle habite aussi à Paris, puis étudie au Naropa Institute. Elle organise des lectures à St Mark Church à New York et des ateliers d’écriture dans des prisons. Aujourd’hui elle enseigne à la Brown University à Providence. On peut retrouver chez elle les énergies vivaces des poètes Beat des années 1950-60 comme Jack Kerouac, mais aussi une attention aux structures et surfaces textuelles du groupe d’avant-garde Language. Elle a traduit du français les poètes Jacques Roubaud et Sabine Macher, et collaboré avec le compositeur Philip Glass. Elle est mariée avec le romancier Laird Hunt et ils ont une fille. L’aspect autobiographique de sa vie mouvementée est rendu énigmatique et transcendé dans des visions parfois surréalistes ou des échappées issues de sciences diverses (histoire, biologie, physique...) Ainsi elle a écrit un récit poétique sur son père, héroïnomane et SDF, The book of Jon. Eleni Sikelianos s’est aussi aventurée dans la tradition du « long poème américain » comme William Carlos Williams avec Paterson, Charles Olson avec Maximus ou Louis Zukofsky avec A : dans The California Poem Eleni Sikelianos coud un patchwork de textes historiques et culturels dans son lyrisme épique en hommage à la Californie. L’édition française chez Grèges est un beau livre au format horizontal reproduisant les photos d’archives de l’autrice.
Bibliographie sélective
Earliest Worlds, Coffee House Press 2001
The Monster Lives of Boys & Girls, Green Integer 2003
The California poem, Coffee House Press 2004
The Book of Jon, City Lights 2004 (récit)
Body Clock, Coffee House Press, 2008
The Loving Detail of the Living and the Dead, Coffee House Press 2013
Make Yourself Happy, Coffee House Press 2017
Traduction en français
Du soleil, de l’histoire, de la vision, Grèges 2007, traduit par Béatrice Trotignon
Le Livre de Jon, Actes Sud 2012, traduit par Claro
Le Poème Californie, Grèges 2012, traduit par Beatrice Trotignon
Le Tendre inventaire des vivants et des morts, Joca Seria 2017, traduit par Beatrice Trotignon
Animale machine, Actes Sud 2017, traduit par Claro
Sitographie
Visionner 2 minutes Eleni Sikelianos lisant « Of the True Human Fold » : descendre sur l’écran vers la troisième petite vidéo (Track No: 3)
Une recension en français du Livre de Jon dans la revue Les Inrockuptibles
Entretien en anglais à lire avec Eleni Sikelianos
Choix de poèmes, traductions et dossier de Jean-René Lassalle