(Anthologie permanente) Marc Blanchet, Tristes encore

Par Florence Trocmé

Marc Blanchet publie Tristes encore aux éditions Obsidiane, Le Manteau et la Lyre.
III
Dans ce train le givre
Est le seul paysage traversé.
On appelle comme lueur
Un soleil de dernière seconde.
On en rirait si une vie nouvelle
Changeait du tout au tout
Ce visage inféodé au temps.


Ce ciel divise les nuages.
Les assigne à des disparitions.
Les défait de leur évanescence.
Leur offre la splendeur d’avoir
Au moins l’apparence d’un souvenir.
On en vient à lui ressembler.
N’étant jamais ciel.
Plutôt l’objet d’une dévoration.


Au loin une barque mauve.
Rien d’autre que son arrêt.
Avec ce train
Sa disparition porte mes yeux
Si bien vers l’avant
Que les voici soumis au lointain.


Les toits légèrement visibles
Derrière les haies fatiguées –
Je ne suis pas là-bas à m’attendre
Ni ici à rêver de m’étrangler.
Voir pèse en moi
Comme un secret à ne pas taire.
Il y a ce pain que je peux atteindre
Cette vie que je peux partager
Et derrière chaque chose
Ce qui vit sans me parler.


Tout est enveloppé d’une bâche
Épaisse comme un linceul.
Un règne de plastique colore
Ces tentes de fortune
Où des souffles se réchauffent
Oubliant qu’ils furent des voix.
(...)
Une éclaircie au soir.
Le trajet d’un rapace
Au-dessus de l’onde.
Tous ces signes que l’on ne voit pas
À l’image des vies qui passèrent.
Aucune n’est la nôtre.
Et pourtant dans ce qui s’efface
On jurerait que c’est soi.
Marc Blanchet, Tristes encore, Le Manteau et la Lyre, Obsidiane, 2022, 80 p., 12€, pp. 33-37et 41
« Comment rendre hommage à Ovide et à Ossip Mandelstam, tous deux auteurs de Tristes et de Tristia, lorsqu'à leur suite on intitule son recueil de poèmes Tristes encore. La filiation est accentuée par l'adverbe. Non que la tristesse ait un avenir, ou qu'elle soit constitutive de l'existence humaine ; au contraire, elle offre à cette dernière intensité et décalage du regard, non sans ironie, voire autodérision. Tristes encore exalte la vie et honore les morts. Car, pour le poète, embrasser le train du jour ou se faire semblable aux autres est le devoir, le seul, qui nous rend humains. » (Rabat de couverture).