Dominique Fourcade – Gérard Masson
Les éditions Chandeigne viennent de publier « lettre à Eva » de Dominique Fourcade, élégie (ou peut-être thrène) composée par Dominique Fourcade, « en souvenir de Gérard Masson et de la fille en patinette, lentement, le long du crématorium ». Et ce poème met en avant un « je », celui du poète, démuni et qui va au bout de cette dépersonnalisation qui est la marque du lyrisme de Fourcade dans tous ses écrits.
Je lis ce poème, j’écoute alternativement, les quelques partitions enregistrées de Masson qui sont à ma portée (notamment grâce à Christian Rosset) : Dans le deuil des vagues I, Pas seulement des moments des moyens d’amour… et Alto-Septuor.
Passent dans ma lecture et dans mon écoute, toute une réduction de la deuxième moitié du XXe jusqu’à nos jours. Ou plus exactement une concentration du sens et de l’émotion qui fait arriver l’instant présent dans ce chant de deuil.
Fourcade y nomme bien sûr la complicité musicale avec Gérard Masson, en évoquant aussi bien Chostakovitch que Stockhausen, mais aussi les grandes figures que sont pour lui, que sont pour leur amitié : Proust, Pasternak, Cézanne ou George Oppen.
Gérard Masson avait la capacité de juxtaposer musicalement la plus grande liberté et la plus grande contrainte dans les œuvres qu’il composait. Fourcade dans ce chant mimétique de la mort peut aussi bien convoquer, comme à son habitude, Patti Smith que Beethoven (et l’habitude n’est ici pas un reproche mais, par l’étymologie latine même, une manière de se tenir vivant dans le siècle.)
Et l’écriture accepte de se perdre dans l’épuisement du deuil qui la tient. Sans ponctuation le texte dit : « c’est quoi le sujet du livre dis-moi c’est quoi le sujet de ce galop sans objet qui s’impose ».
La réponse sans doute n’a pas à être formulée. Le poème multiplie les percées de la nature avec, au début, par exemple, l’image d’un « cortège de cerfs silencieux » auquel j’ai l’impression que répond, à la fin, un « vol de grues posthume cet après-midi, composé par toi Gérard, rien moins que le plus beau v qui soit ».
Et si le poème évoque l’idée d’écouter, comme Hadrien France-Lanord le suggère au poète, la cantate BWV4 de Bach (et sans doute sa Sinfonia), je quitte pour ma part, à la fois ce thrène et les œuvres réécoutées de Gérard Masson pour le silence de la nuit qui vient, avec cette idée comme un roc à chaque fois que survient la fin du monde qu’est le décès de celles et ceux qu’on aime : la mort nous vole tout des autres sauf l’amour que nous leur portons pour toute la vie qui reste à découvrir.
Alexis Pelletier
Dominique Fourcade, Lettre à Eva, cahier de 14 pages, 10,5cm x 15cm, Chandeigne, 2022. Pour tous renseignements, voir Éditions Chandeigne, 10 rue Tournefort, 75005 Paris.
Gérard est parti
dans la forêt qui n’est à personne
il me précède sur un chemin de feuilles
de chênes, de châtaigniers, de charmes,
et par endroits d’éblouissante mousse
étoilée
se forme, comme allant de soi, un cortège
de cerfs silencieux
dont les bois sont ce qui manque à
l’humanité d’un homme
France musique diffusera ce dimanche 16 janvier 2022 à 20 h un concert d’archives en hommage à Gérard Masson : En compagnie du poète Dominique Fourcade, Arnaud Merlin rend ce soir hommage au compositeur Gérard Masson, disparu le 23 décembre dernier à l'âge de 85 ans.
On peut lire aussi cet hommage de Pierre Albert Castanet à Gérard Masson publié dans Muzibao.
[Cet article est publié simultanément dans Poezibao et dans Muzibao]