Le congrès approchant, une question jusque-là cachée fait surface : que faire des fabiusiens ? Pour autant que je m’en souvienne, j’ai toujours vu Laurent Fabius comme un héros tragique. D’abord brillant et prometteur lieutenant du vieux césar élyséen, il a été très tôt en charge des affaires de la France. Trop tôt peut-être, coincé entre le destin du commandeur et le sien qui ne pouvait s’émanciper. La tragédie est arrivée de façon insidieuse, indirecte, et probablement injuste, comme tout mécanisme de tragédie grecque qui se respecte. Indirecte puisque le mal est venu d’un dysfonctionnement de l’administration en charge des transfusions sanguines, insidieuse puisqu’il n’était pas directement en charge de ce qui se faisait, probablement injuste car au final il a probablement pris les décisions qu’il fallait, mais trop tard sur un sujet trop porteur de symboles : sang symbole de vie, poison symbole de perfidie. Cet épisode a scellé son destin, il ne s’en est jamais vraiment remis et encore aujourd’hui, une ombre fantomatique semble poursuivre Laurent Fabius.
Mais ce n’est sans doute pas la seule raison de la méfiance généralisée envers les fabiusiens. Ce courant représente l’archétype du courant d’influence au sein du PS : extrêmement structuré, discipliné, efficace, ayant une logique propre, idéologique au départ, mais s’étant fourvoyé dans des choix de pure tactique personnelle avec par exemple le non au TCE. Moi qui ait également voté non à ce referendum, je me suis demandé à l’époque ce que j’aurais fait à la place de Fabius : être fidèle à une conviction doublée d’un intérêt pour se singulariser, ou accepter le choix majoritaire en sachant qu’il cachait une schizophrénie collective (qui a fini par s’exprimer le jour du vote) ? Un simple militant aurait pu à la rigueur s’abstenir, mais le centurion Fabius se devait de combattre pour le choix collectif. Ne l’ayant pas fait, il a augmenté la méfiance envers son courant qui est passé “d’une logique propre” à une “logique antagoniste”. Une telle logique l’a conduit à se gauchiser par la suite alors que la présidentielle a clairement montré que les français cherchaient un centre-gauche renouvelé dont la social-démocratie refondée serait un digne représentant. Le héros s’enfonce dans l’erreur, poussé par la machine du destin. A l’heure du congrès, la question des fabiusiens est incontournable. Trop marginalisés, ils ne peuvent prétendre dégager une majorité mais ils restent difficilement contournables, surtout pour ceux qui pensent que l’avenir du PS passera forcément par la voie des courants. Parallèlement, s’étant perdu dans des choix contraires à la volonté générale, tout le monde se méfie de ce courant. Peut-on débloquer cette situation ? Sans doute, je l’espère, mais cela passera probablement par quelques symboles, au premier rang desquels on trouve la réhabilitation du tragédien : il faut offrir à Laurent Fabius le combat qui restaurera l’honneur perdu du centurion, quitte à ce que ce soit le dernier. A partir de là, le poids du symbole ne pesant plus sur ses troupes, nous avons une chance de repartir dans une coopération apaisée, saine, constructive. Il reste au destin à produire cette dernière bataille et au futur dirigeant du PS à l’offrir à Laurent Fabius. Vision romantique de la politique qui sera peut-être contredite par le cynisme défaitiste de la politique française actuelle…