Où mon art fait chaque jour un sort
Aux discours des tyrans des charlatans et des démons
Chambre que l’on pourrait croire indestructible
Si celui qui l’habitait n’était un simple mortel
Me réclamant de quelques mots jugés incorruptibles
Ai-je pour autant œuvré contre le Temps
Contre ses Puissances ?
Mettant chaque jour à l’épreuve à ma table
Les mots rigoureusement choisis
N’ai-je pas misé aussi sur une entreprise mortelle ?
N’ai-je pas failli comme les autres ?
Pariant sur de courtes victoires
Ou sur des défaites
Qui n’étaient à première vue
Que retraites stratégiques
Escomptant là un regain et
Un accroissement de forces ?
Valeureux soldat d’Alexandre
Ou guerrier des Thermopyles
Croisé marchant sur Jérusalem
Juge siégeant au Tribunal de l’Inquisition
Et accusateur de Galilée
Complice de Cortés et de ses massacres
Dans le Nouveau Monde
Communard ou encore révolutionnaire d’Octobre
Participant à la prise du Palais d’Hiver
Maquisard ou tortionnaire surgi du fond des temps
Je n’aurai été dans le bien comme dans le mal
Un acteur de l’Histoire
Mais ce scripteur dénonçant son emprise
Sur les esprits
Voué dans une chambre du monde
À des accomplissements
Dont l’Histoire ne fut qu’une péripétie qu’un malheureux épisode
Inscrivant mes trop courtes victoires et mes cuisantes défaites
Dans cette langue implacable qui est aussi celle des dieux
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Paul Vallée (Ayer’s Cliff 1970-2002)