Le passeur et le sentiment sylvestre.
Il ne s’agit pas ici de ces promenades où celui qui marche se sent plus alerte sous la futaie, de ce bain de nature dont tout le monde sait ou imagine les bienfaits, surtout en ces temps privés de voyages. Avec Patrick Beurard-Valdoye, des arbres nous conduisent avec délicatesse vers des seuils ouvrant le Temps.
Des destins remarquables haussent ces arbres-là vers l’arbre de vie, le premier arbre, l’arbre reliant plus que racines et ciel, une alchimie qui plante la mort et la vie ensemble. L’arbre devient un mât, un totem, un autel, un capteur de l’invisible. Un signe occulte aussi. L’arbre de Jung fut foudroyé le jour de sa mort (Le peuplier de Jung).
Les arbres du poète vont à l’encontre de ce qui parait inéluctable, notre déracinement. L’arbre devient ce nous-même résistant à ce qui nous jette à terre. On repart avec des fruits pour traverser le désert (Les pommiers de sukkot).
Ces 19 poèmes, écrits au fil du temps et rassemblés ici, sont, pour qui a lu, ou pas lu encore ce poète, comme une sonde géologique racontant les strates de l’écriture valdoyenne. Ecriture qui sculpte depuis des décennies la langue en refusant de prendre des pincettes. Une leçon de liberté et de sensualité. Un élixir ramifié a son Cycle des exils. Dans ces pages se mêlent l’autobiographie pleine d’humour (Le marronnier des filles, L’arbre à papillons de la rue Clairaut) et l’énoncé des lieux habités d’âmes claires que cette époque culturelle voudrait ratiboiser.
Il y a, à nue, cette question : la poésie est-elle extra-légale, le poète contraint à quitter la cité géographique et symbolique si son écriture refuse le pré carré académique ? Qui a encore la force de cet effort-là ?
Reste, au fil des pages sensuelles, immergées dans une manière de grâce, cette autre question pour la lectrice : d’où vient ce souffle qui fait ces lieux et ces narrés si prenants et surprenants ? Le souffle des poèmes est précis, irrespectueux, joyeux, musical. Chacun est un territoire dans la langue et dans l’espace. On va à Chypre, en Inde, etc. Et même si la compagnie des arbres emplit maints livres et semble couler de source (qu’on habite près d’un square ou d’une forêt), ce livre fait aussi qu’on voudrait palabrer autrement avec eux. Se baigner dans le sentiment sylvestre où l’on ne se reconnait plus.
Jacqueline Merville.
Patrick Beurard-Valdoye Palabre avec les arbres, Corti, 2021, 76 p., 15,50€, p. 51
Extrait (choisi par la rédaction) :
Le cytise de Schwitters
ASSIS sur la butte herbeuse
comme Kurt Schwitters avec son
Erika devant la hutte en granit
merzée pour rêver vivre sur l'ile
ou s'exiler
tous avions le regard inondé
de bouts collés préservés formes plâtrées
reliques en bois flotte planches peintes
caisses de margarine et bris de nefs
et tous ces mots en allemand
norvégien anglais français
en italien en schwitters
imprimés en notre mémoire aussi
devant l'entrée l'arbre en beauté
avec ses lustres de fleurs pleureuses
jaunes de mai trônait magistral
auquel je n'avais pas prêté attention
lors du passage précédent