Chaque mois, dans ses 10 premiers jours, tout comme je le fais pour la littérature (dans ses 10 derniers) et tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu) je vous parle de l'une des mes trois immenses passions: le cinéma!
Je l'ai consommé, le consomme toujours, étudié, j'y ai travaillé, ai été primé, m'en suis retiré pour une famille (mieux équilibrée? ouinonpeutêtre) différente, mais le cinéma ne m'a jamais quitté.
Je vous parle d'un film que j'ai adoré pour ses interprètes, son audace, sa musique, sa réalisation, son sujet, sa cinématographie, son traitement, son scénario, bien souvent, tout ça en même temps, bref, je vous parle d'un film dont j'ai aimé pas mal tous les choix.
THE PIANO de JANE CAMPION
Aussi étrange qu'hanté, ce film était sur ma liste de cadeau de Noël. Et je l'ai finalement acheté.
Il s'agit d'une histoire d'amour et de féroce orgueil harmonisé des doigts magiques de Micheal Nyman et de la caméra de Stuart Dryburgh. L'action se déroule dans le pays natal de Campion, la Nouvelle-Zélande, à une époque où on émigrait sur l'austère rive côtière, bavée de boue et de pluie, pour mieux tenter de récréer la bourgeoisie citadine qu'on venait de quitter. On essaie de maintenir une apparence de haute société européenne, empreinte de timidité, de répression et de solitude. Celle d'une femme qui refuse de parler, d'un homme incapable d'écouter, ainsi que l'histoire d'une jeune enfant, intense, créant quelques bêtises tout en prétendant qu'elle n'a rien fait.
Ada, est une femme dans la trentaine, mère d'une fille, Flora, arrivant par l'océan, par jour de tempête. Elles y ont été amenées, avec leur piano, en canot, afin de rencontrer un célibataire local, Stewart, qui a obtenu un arrangement pour marier Ada. Celle-ci nous apprends qu'elle a cessé de parler à l'âge de 6 ans, ne sachant trop pourquoi, pensant que sa voix était maintenant celle de son esprit et rien d'autre. Elle communique avec le monde par le biais des notes de son piano et par le langage des signes, interprété par sa fille.
Stewart et ses travailleurs maoris trouvent que c'est beaucoup de problème, ce piano, et choisissent de le laisser sur la plage. Au gré du vent et de la pluie. Ça en dit long sur Stewart qui se soucie peu des moyens d'existence d'Ada et qui ne trouve pas anormal d'avoir une femme qui n'aurait rien à dire. Peu d'attachement se fera entre Ada et Stewart.
En allant jouer du piano sur la plage, un voisin, Baines, ancien baleinier, tatoué de logos maoris, est séduit par le piano joué par Ada sur la plage. Tant, qu'il échange une partie de ses terres à Stewart contre le piano. Commence des relations troubles. Baines veut davantage être charmé. Les négociations sont intenses.
Campion qui n'a pas que réalisé mais a aussi tout écrit (et a été Oscarisée pour) ne traite pas le sujet de la même manière qu'un homme l'aurait fait. Elle comprend l'érotisme de la lenteur et de la retenue. Le pouvoir d'Ada qui prétend se soucier de ses hommes. La fin est subtile et surprenante.
Campion fait peu de films intintéressant. Que ce soit Sweetie, avec une famille articulée autour d'une soeur auto-destructrice, An Angel At My Table, l'histoire désolante de l'auteure Janet Frame, internée à tort pour schizophrénie, The Portrait of a Lady, une histoire de manipulation traitre ou encore l'année dernière The Power of the Dog, traitant brillamment de mélancolie, solitude, tourments, d'identité et de ressentiments, tous des thèmes encore présent dans The Piano, son regard est intelligent. The Piano n'était que son troisième long-métrage, en 1993. Il y a des éléments de gothisme et une sensibilité victorienne cachant l'érotisme derrière le voile de la crainte, du mystère et de lieux exotiques. Holy Smoke a été tourné en partie en Inde! Avec une Australienne et un gars de Brooklyn. Campion aime enraciner dans le déracinement.
Son héroïne a un fort agréable outil de travail coloré par l'extraordinaire musique de Micheal Nyman. Ada n'est pas une victime. Elle encaisse chaque scène et y réagit Son personnage est nuancé, parfois timide, tantôt agressive, bientôt tendre. Baines n'est pas ce qu'il semble être au tout début et Stewart est taciturne et très carré dans sa vision du mariage. La grande révélation est la toute jeune Anna Paquin (qui n'avait que 11 ans lors du tournage) qui a, de loin, le plus de lignes, en étant la voix de sa mère, mais qui a aussi un rôle très intense et compliqué. Capable de mensonges et d'effronterie sans perdre le souffle.
La cinématographie de Stuart Dryburgh n'est pas que parfaite pour cette histoire, mais améliore chaque choix de plan. Les yeux gris et les bruns quand on peint sur la désolante côte riveraine et les chauds intérieurs qui éblouissent lorsque nécessaire sont sa touche. Un moment clé de la fin est intelligemment découpé en étant tourné un quart de temps plus lent, et dont certaines images sont répétées 4 fois, afin de créér un meilleur impact. Très réussi. Créé un effet de rêve. Hanté.
Il s'agit de l'un de ses films riches qui ne sont pas qu'une bonne histoire, mais de beaux personnages complexes, et un univers complet bercé de splendide musique, traitant de comment, entre individus, oan arrive à se fermer à l'autre, dans la peur, dans la solitude et comment parfois, on ne saurait jamais si on avait jamais demandé.
Un vrai maudit bon film que je ne cesse de me remémorer bleuté. Un film que j'ai fini par acheter.