Sous la pression de ses dragons du web et de leurs outils de paiement ultra-populaires (Alipay et WeChat Pay), la Chine a lancé depuis longtemps des expérimentations de monnaie digitale de banque centrale (MDBC). À l'approche des jeux olympiques d'hiver, l'« e-yuan » semble maintenant en passe d'entrer en phase d'industrialisation.
Jusqu'à présent accessible uniquement sur invitation, notamment à travers une loterie qui a tout de même permis à plusieurs dizaines de millions de citoyens de participer aux tests préliminaires, l'application mobile de la Banque Populaire de Chine est désormais disponible publiquement sur les appstores Google et Apple. Il est vrai que, à ce stade, elle est explicitement décrite comme toujours en version pilote et son utilisation reste réservée aux résidents d'une poignée de régions spécifiques du pays.
Cependant, le projet est maintenant suffisamment avancé pour considérer que l'empire du milieu sera vraisemblablement la première grande nation à généraliser une solution du genre à grande échelle. Sans s'attarder sur les motivations politiques sous-jacentes, entre reprise de contrôle face à des entreprises technologiques sujettes à défiance et démonstration de puissance et d'innovation vis-à-vis du reste du monde, la démarche retenue et les choix d'implémentations sont porteurs d'intéressants enseignements.
Tout d'abord, le développement et la distribution d'un porte-monnaie virtuel par la banque centrale elle-même peut surprendre. En effet, si elle est bien l'émettrice du yuan digital, l'institution confie aux établissements commerciaux le soin d'en assurer la gestion pour leurs clients, ce qui se confirme dans le fonctionnement du logiciel (une connexion avec le fournisseur de compte est un préalable à l'utilisation). Peut-être s'agit-il d'une étape transitoire, jugée indispensable pour encourager l'adoption initiale ?
Un autre aspect notable de ce vaste chantier de digitalisation de la monnaie est qu'il n'est à aucun moment question de blockchain ni autre concept à la mode dans son implémentation. Et pour cause ! Nous sommes ici en présence, par définition, d'un instrument absolument et définitivement centralisé. Et les millions de transactions exécutées au cours des mois passés ont certainement validé la capacité des architectures traditionnelles de traitement et de gestion de données, robustes et parfaitement rodées, à supporter les sollicitations massives et les éventuelles défaillances ponctuelles.
En termes opérationnels, l'expérience utilisateur est (apparemment) similaire à celles des leaders locaux du paiement mobile, ce qui devrait faciliter la prise en main. En revanche, il sera plus fascinant d'observer les réactions des visiteurs étrangers, à l'occasion des jeux olympiques, s'ils ont l'opportunité de bénéficier de la solution (après tout, il est prévu d'installer des distributeurs pour changer des devises en e-yuans déposés sur une carte prépayée, une variante capable de les envoyer vers leur smartphone devrait être envisageable). Reviendront-ils chez eux avec une appétence nouvelle pour les MDBC ?